Toutes les histoires d'amour ont été racontées, sauf une - Tonino Benacquista
C'est ce qui s'appelle un grand moment de solitude. Totalement déstabilisant. Entrer dans un livre avec une envie à la hauteur des immenses souvenirs laissés par la lecture de Saga, toujours présents vingt ans après. Même si ensuite le plaisir fut moins net. Jusqu'à Romanesque qui m'avait permis de renouer avec cette plume si talentueuse. Entrer donc dans ce livre en se préparant au bonheur. Ne pas se préoccuper tout de suite de l'esprit qui s'égare. De l'envie de revenir en arrière quand le propos semble confus. S'inquiéter tout de même au bout d'un moment. Continuer quand même. Et déchanter.
Ceux qui ont lu Saga se souviennent sans doute de la virtuosité de l'auteur à jouer de l’imbrication du réel et de la fiction dans le destin de ses personnages. C'est aussi ce qui m'avait fait apprécier Romanesque d'ailleurs. Dans ce nouvel opus, Tonino Benacquista revient à l'univers des séries télévisées - on trouve d'ailleurs une allusion à la fameuse Saga - et à la mécanique qui lui avait valu ce succès. Il met en scène un personnage, Léo, qui s'échappe d'une réalité peu séduisante et disparaît de la circulation pour se réfugier dans le visionnage de séries, laissant son entourage sans nouvelles. Pour le lecteur, se mêlent alors les histoires de différentes séries, faisant se croiser les membres de réunions d'alcooliques anonymes, une telenovela brésilienne ou encore les aventures d'Harold Cordell, un écrivain anglais sur le déclin qui va tenter d'écrire la seule histoire d'amour qui n'ait pas encore été racontée : la sienne. Pour l'auteur, c'est l'occasion une fois encore d'interroger la façon dont s'écrivent les histoires, qu'elles soient fictions ou destins. La façon dont on les raconte également.
"C'est ce que Léo aime chez Harold, cet aveu d'impuissance face au réel. Selon lui, nul ne peut prétendre être le scénariste de sa propre vie, qui n'est qu'un long continuum de situations qui s'enchaînent d'elles-mêmes, la nature humaine préférant les petits évitements aux grandes confrontations et les compromis aux remises en question".
Alors effectivement, ça se mélange, créant une vraie confusion dans mon esprit qui perd complètement le contact avec Léo. Était-ce l'effet voulu ? Le problème c'est que les quelques réflexions savoureuses qui me font parfois retrouver le sourire ("... car à trop montrer plus personne ne voit, plus personne ne s'émeut...") ne suffisent pas à me reconnecter durablement avec l'intrigue. Je trouve le propos trop confus, noyant le fil narratif. Faut-il se raccrocher à Harold, la figure de l'écrivain qui se voit pourtant gratifier d'une belle baffe critique ("Harold Cordell ne prend même plus la peine d'écrire, il se contente de se gratter la tête et de vendre ce qu'il a sous les ongles"... je la ressortirai celle-là, ha ha). Et ce n'est pas la tirade de fin qui éclaire ma lanterne.
Un grand moment de solitude, donc. J'ai même hésité à relire Saga pour savoir si c'était moi qui avais changé... et puis j'ai renoncé. A quoi bon ? Saga reste un énorme souvenir. Et le résultat est là : je n'ai pas compris grand-chose à ce nouvel opus. Et puis je suis tombée sur un papier tout frais signé Rémi Noyon dans l'Obs de cette semaine qui se termine ainsi : "Le livre laisse un étrange malaise, comme après une overdose d'épisodes regardés trop vite, dans une frénésie addictive, ce qui signifie peut-être qu'il est réussi. Ou alors, qu'on n'a rien compris. C'est possible aussi". Alors, je me suis sentie moins seule.
Désolée, Tonino, pas cette fois.
"Toutes les histoires d'amour ont été racontées, sauf une" - Tonino Benacquista - Gallimard - 214 pages