Un loup quelque part - Amélie Cordonnier
Amélie Cordonnier a fait une entrée remarquée en littérature avec son premier roman, Trancher, qui faisait entrer le lecteur dans la tête de son héroïne aux prises avec la violence de son conjoint et incapable de prendre une décision. Roman convaincant, surprenant par sa tonalité très cash mais jamais familière et surtout marquant. Presque autant que la personnalité enjouée et solaire de son auteure qui a illuminé de sa bonne humeur plusieurs rencontres dans le cadre des 68 premières fois. Autant dire que je l'attendais au tournant, curieuse de voir ce qu'elle allait nous offrir après ce premier coup d'éclat. Pas de doute, on retrouve ce ton, cette envie de regarder les problèmes en face, ce rythme qui tient en haleine. Mais le style s'enrichit, le propos s'épaissit, la douceur s'immisce parfois au détour d'une page. L'écriture se libère, comme si l'auteure s'autorisait à franchir une barrière. Ce qui donne à son roman une force nouvelle, au-delà de son sujet.
Un sujet fort, bien sûr. Encore. Au plus près de l'héroïne dont on ne connait pas le prénom mais dont on découvre en temps réel toutes les pensées. Et c'est un cataclysme. Un truc qui balaye toutes les certitudes, simplement parce que cela touche à l'identité. Lors d'une visite chez le pédiatre, parce qu'elle s'inquiète de voir apparaître des tâches sur la peau de son bébé de cinq mois, la jeune femme apprend qu'Alban est métis. Son fils et celui de Vincent, blancs tous les deux, comme leur fille aînée, Esther. Elle n'a pas été infidèle, comment cela est-il possible ? Un cataclysme, donc, qui l'amène à questionner sa relation avec ce bébé qu'elle rejette, dont elle a honte mais également à douter de son histoire personnelle. Il y a en effet de quoi bouleverser l'ensemble de ses relations aux autres...
"Le noir, pour elle, jusqu'à présent c'était la couleur des nuages menaçants, du chocolat, des pneus du tracteur de son père et des traces de goudron sur l'asphalte. Rien de plus."
Amélie Cordonnier ne nous épargne rien de la violence ni de la détresse qui s'emparent de l'esprit de son héroïne. Des sentiments que l'on n'imagine même pas de la part d'une mère pour son fils, innocent poupon. C'est cash, sans fard, parfois aux limites de la folie, comme ce parallèle avec La métamorphose de Kafka. Pourtant, elle trouve le moyen de glisser dans la narration de vraies bouffées de tendresse, des touches de couleur qui viennent adoucir peu à peu le tableau. La couleur est omniprésente. Par le jeu du nuancier avec lequel la jeune femme "prend" la couleur de son enfant au fur et à mesure de la mue (oui, on apprend la façon dont les enfants métis évoluent pendant quelques mois vers leur couleur définitive), par le jeu des expressions auquel se livrent les membres de la famille, par le regard porté sur la nature lors d'un périple dans le sud de la France. Une référence qui renvoie à la façon dont notre apparence forge notre identité à nos yeux et à ceux des autres. Des touches de couleur qui jalonnent le parcours de la jeune mère vers la lumière. D'ailleurs, nous étions passé rapidement sur cette expression toute faite qui démarre le roman : "La salle d'attente est noire de monde"...
Si l'amour maternel est ainsi soumis au crash test, ce qui m'a le plus émue c'est la beauté de la relation entre la jeune femme et son père qui se trouve au cœur de l'intrigue, ce père qui a cumulé les fonctions après la mort de sa femme alors que leur fille n'avait que dix ans. "Un père pareil, ça colle la pression. Si l'instinct maternel existe, lui il l'a" et c'est logiquement auprès de lui qu'elle va se remettre l'esprit à l'endroit. Je trouve qu'Amélie Cordonnier a des mots magnifiques pour évoquer ce couple père-fille à tous les âges de leur vie. C'est la force de cet amour qui fournit à son héroïne le socle qui la maintient en équilibre et lui permet de trouver les ressources pour surmonter ses angoisses, son dégoût et son désarroi. Pour oublier le noir du début et se dire que "Souchon a raison, l'amour c'est bleu difficile, les caresses rouges fragiles".
Un roman haut en couleurs, donc. Mais surtout très réussi et qui ne laissera personne indifférent.
"Un loup quelque part" - Amélie Cordonnier - Flammarion - 272 pages