Une ville de papier - Olivier Hodasava
C'est un roman teinté d'une douce mélancolie, à l'image de cette photo de couverture aux couleurs passées sur laquelle les silhouettes tentent de résister à l'oubli, à l’effacement. C'est un roman qui interroge le réel, défie les frontières avec l'imaginaire et joue avec les ressorts de la création. C'est aussi un hommage, une stèle de papier offerte à ceux dont l'existence pourrait passer inaperçue, à moins que quelqu'un ne s'y intéresse. Dans Cora dans la spirale, Vincent Message fait dire à son héros " Je rêve d'un monde où on se raconterait les vies humaines les unes après les autres, avec assez de lenteur, d'incertitudes, et de répétitions pour qu'elles acquièrent la force des mythes" ; c'est un peu ce qu'entreprend de faire celui d'Une ville de papier, en remontant le fil du destin méconnu d'un homme qui a juste tracé un point sur une carte.
Il s'appelle Desmond Crothers et il est employé de la General Drafting, une entreprise florissante de cartographie basée à New York. Nous sommes en 1931, l'automobile est en plein essor et quelques entreprises se partagent le juteux marché des cartes routières. Pour éviter les plagiats, chaque nouvelle carte est dotée d'un Copyright Trap c'est à dire un piège, un élément fictif ajouté volontairement pour repérer les copies. Élément à haute valeur ajoutée romanesque, imaginez toutes ces villes ou rivières ou collines ou autres dont les noms figurent sur des milliers de cartes sans que personne ne s'aperçoive de rien... Mais revenons à Desmond. Le jeune homme se voit confier la mission de trouver le Copyright Trap de la prochaine carte du Grand Est américain, il lui faut imaginer le lieu, lui trouver un nom d'après une histoire personnelle et singulière qui sera gage d'authenticité. Fiancé à Rosamelia, il décide de baptiser sa ville de papier de l'union de leurs deux prénoms qui précédera de peu la leur. Rosamond est née et je vous laisse découvrir pourquoi elle est placée là où elle est. Fin de l'histoire ? Pas du tout, ce n'est que le début. Quelques décennies plus tard, un journaliste intrigué par le sujet de ces Copyright Traps s'intéresse plus particulièrement à Rosamond lorsqu'il découvre que la ville semble avoir une réelle existence. Comment ce lieu fictif s'est-il ancré dans la réalité ? Que vient faire Hitchkock dans l'histoire ? Et cette élection de Miss Rosamond ? Quant à Walt Disney...
Ce qui est passionnant, en suivant l'avancée des recherches sur l'enchaînement de faits qui ont abouti à donner une existence à Rosamond, c'est de se laisser porter par la puissance des histoires, du hasard, des petites pierres qui tracent un chemin. De s'apercevoir qu'à chaque étape, un individu peut se contenter de ce qu'il voit, ou imaginer (croire, inventer) autre chose. Desmond Crothers a-t-il connu l'évolution de sa ville de papier ? C'est ce que tente d'établir le narrateur-enquêteur et c'est ainsi qu'il fait naître l'émotion, en mettant en lumière celui dont l'imagination est à l'origine de tant d'autres idées, fantasmes, créations. Il y a quelque chose de tout simplement merveilleux dans cette histoire, comme si un héros de papier quittait son livre pour s'installer dans votre canapé, ou un acteur traversait l'écran pour prendre place dans le fauteuil jouxtant le vôtre.
"La mélancolie, ce n'est pas être nostalgique des choses du passé mais savoir qu'elles ne reviendront plus. Moi, ce qui m'attriste, c'est qu'il y ait tant de choses ou de personnes qui disparaissent et qu'on oublie. Je voudrais que ces gens-là, tout particulièrement, on ne les oublie pas".
"Une ville de papier" - Olivier Hosada - Inculte - 136 pages