Liv Maria - Julia Kerninon
"Son père était un lecteur, et sa mère était une héroïne. Son père aimait les histoires et sa mère était un personnage". Et ce roman, on pourrait le commencer à l'aveugle, comme on goûte un vin, et reconnaître entre mille les arômes qui composent les nectars de Julia Kerninon. Elle a beau nous raconter à chaque fois des histoires différentes, elles prennent leur source dans l'amour des mots, de la littérature, dans la curiosité de l'autre et de sa complexité. Et il me semble qu'il y a dans ce nouvel opus beaucoup d'elle-même. Mon exemplaire déborde de petits marque-pages, j'en ai fait deux lectures car j'ai eu l'impression de l'avoir dévoré la première fois, en quelques heures, frustrée d'en terminer si vite. On devrait toujours lire les livres deux fois - enfin, les bons - parce qu'ils dévoilent ainsi leurs multiples facettes, et celui-ci en compte beaucoup.
C'est d'abord un magnifique portrait de femme que l'auteure tente de saisir dans toutes ses dimensions et ses contradictions. Son prénom n'est pas choisi au hasard, Liv veut dire vie en norvégien et on peut en saisir les correspondances avec l'anglais ; ces liens entre les langues, Julia Kerninon, elle-même traductrice s'en sert tout au long du roman, en joue et en fait des vecteurs de transmission et d'identité. Liv Maria est donc du côté de la vie, du mouvement, de l'expérimentation. Quitte à se tromper. Son histoire se construit à partir d'éléments qu'elle ne maîtrise pas toujours, de rencontres heureuses ou dramatiques, comme chacun d'entre-nous. Une histoire dont je ne vais rien dévoiler ici car ce serait déjà trop en dire et gâcher le plaisir du futur lecteur. Sachez simplement qu'elle vous fera parcourir du pays, d'une île Bretonne à l'Irlande, en passant par le Chili et Berlin. Mais que le voyage est tout autant intérieur.
Car ce qui intéresse Julia Kerninon c'est bien la façon dont s'agence une personnalité à partir des multiples influences qui la façonnent, et quelle est la part de son libre-arbitre. "Peut-on vraiment aimer quelqu'un sans en faire son professeur ? La première fois que cela arrive, peut-on aimer sans tout retenir de l'autre, sans devenir une plaque sensible à tous ses gestes, tous ses mots, ses goûts, ses histoires ?" ; quelles empreintes laissent sur nous nos parents (quelle belle relation entre Liv Maria et son père, ces heures passées autour de la lecture qui ont forcément nourri l'adulte qu'elle est devenue), nos amours, nos amis ? Et de cette personnalité multiple, que savent les autres, depuis l'extérieur ? "Que saisissons-nous des gens, la première fois que nous posons les yeux sur eux ? Leur vérité, ou plutôt leur couverture ? Leur vernis, ou leur écorce ?". Enfin, comment rester entière lorsqu'on ne peut dévoiler qu'une partie de ses multiples facettes et que le silence menace d'envoyer valser tout l'équilibre trouvé. Il semble que la liberté se situe dans l'opportunité de faire un choix. Celui de rester. Ou de partir.
Julia Kerninon excelle dans l'exploration des sentiments, brouillés par le jeu des apparences. Elle nous parle admirablement bien de l'amour ou plutôt des amours qui se bousculent dans la tête d'une femme, mère, amante, fille. Et de l'importance d'être. D'exister. Liv Maria est une héroïne inoubliable et Julia Kerninon une auteure au style élégant, à la plume enjouée et captivante. Sous l'apparente fluidité de l'histoire se posent des questions essentielles, à la fois intimes et universelles. J'adore.
"Liv Maria" - Julia Kerninon - L'Iconoclaste - 272 pages