Ce genre de petites choses - Claire Keegan
C'est un souffle léger, trois fois rien, un effleurement. Un texte à la beauté aérienne, porté par la plume fine et précise de Claire Keegan. Celle de L'Antarctique, Les trois lumières et A travers les champs bleus. Je le dis souvent, je le répète, la simplicité est ce qu'il y a de plus difficile à obtenir dans l'écriture. Trop et c'est le vide, pas assez et c'est la pesanteur. Un équilibre précaire, donc. Sur un fil. Là où chaque mot est pesé, chaque silence aussi. Tout est dans la retenue, l'espace laissé au lecteur finement guidé mais invité à ressentir. Ce genre de petites choses, c'est trois fois rien et c'est l'essence même de la vie.
Nous sommes en Irlande, au milieu des années 1980. Une petite ville, la crise économique, un hiver blanc et froid qui donne à l'entreprise de Bill Furlong, fournisseur de bois et de charbon un surcroit d'activité. Lui dont la famille (5 filles !) est à l'abri du besoin mesure au quotidien la détresse et la pauvreté qui l'entourent. Un homme sensible, attentif aux autres. C'est cette empathie qui le fait s'arrêter un peu plus que prévu dans le couvent voisin où, venu livrer sa cargaison il découvre des jeunes filles en haillons et vraisemblablement malnutries. Dans la ville, il se murmure depuis longtemps que les sœurs exploitent à l'abri de leurs murs des filles placées ici suite à un accident de la vie, souvent des filles-mères. Mais personne ne veut s'en mêler ni se mettre à dos la Mère supérieure par crainte de répercussions. Furlong sait qu'il a eu de la chance, né sans père mais accueilli avec sa mère dans la maison où elle était domestique. Chez lui, c'est le cœur qui va parler.
Trois fois rien. Un conte de noël qui semble passer dans un souffle blanc. Et pourtant. Dans ces pages, il y a ce que l'on retrouve à chaque étape d'une vie, à chaque carrefour de l'Histoire, quelles que soient les circonstances, petits ennuis ou drame national. Il y a la solitude face à sa conscience. Le regard porté sur l'autre, la compassion bien sûr. Et le courage. Celui d'aller contre le mal et d’œuvrer en phase avec ses sentiments et ses convictions. Il y a ceux qui ferment les yeux et ceux qui disent non. Ce n'est que ça. C'est tout simple. Et c'est pourtant l'essence de toute dramaturgie. C'est ce que fait passer Claire Keegan dans ce texte à la beauté gracile et à la portée universelle.
"Bientôt, il se ressaisit et conclut que rien ne se reproduisait jamais ; à chacun étaient donnés des jours et des occasions qui ne se présenteraient pas une seconde fois. Et n'était-ce pas doux d'être là où on était et, par exception, de laisser l'atmosphère vous ramener dans le passé, malgré le bouleversement, au lieu de toujours examiner la mécanique des journées et les difficultés futures, qui n'apparaîtraient peut-être jamais".
"Ce genre de petites choses" - Claire Keegan - Sabine Wespieser - 120 pages (traduit de l'anglais par Jacqueline Odin)