Le Chomor - Martin Mongin
Qu'est-ce qu'on écrit après Francis Rissin ? Ou plutôt, avais-je demandé à Martin Mongin lors d'un entretien, comment fait-on quand on est son créateur pour se défaire de l'emprise d'un tel personnage ? "On crée un autre monstre" m'avait-il répondu. Voilà donc le seul élément dont je disposais à l'arrivée de ce Chomor dans ma boîte aux lettres, beau bébé de près de 600 pages, comme le précédent. Non, pas tout à fait le seul. J'avais également un petit livre que Martin m'avait envoyé après notre entretien, Homo Zetor dans lequel il relate sa rencontre avec Jean-Marie Massou, un artiste singulier, plasticien, poète et prophète de l'apocalypse. Autant vous dire que je suis une chanceuse parce que Jean-Marie Massou est l'un des personnages que l'on retrouve dans Le Chomor, et surtout ce récit contient quelques petits cailloux qui sont autant d'indices sur l'univers qui imprègne la réflexion littéraire de Martin Mongin et dont il faut peut-être chercher la source dans une station balnéaire bretonne... (à ce stade, c'est la panique chez ABC' éditions face à l'afflux de commandes de Homo Zetor paru en toute discrétion. Pardon).
Mais venons-en au Chomor. Si vous avez lu Francis Rissin, vous vous doutez bien que l'affaire n'a rien de simple et qu'il ne sert à rien de vouloir résumer le livre ou l'histoire, de toute façon elles sont multiples. Le Chomor est une expérience. On peut parler de jeu, oui. Complexe. Machiavélique. Captivant. Unique. Martin Mongin joue avec les dimensions, avec l'espace. Mélange les genres dans une orgie d'inventivité qui explore les limites entre réalité et fiction. Et pousse le curseur très très loin. Il convoque les rêves, les fantasmes, flirte avec la folie. Tout ceci avec une fluidité narrative qui rend l'expérience totalement immersive (sauf contre-indications graves telles qu'une allergie à l'imaginaire ou une pensée trop terre à terre, vous voilà prévenus). Attention, rien de tout ceci n'est gratuit. Le propos est sacrément politique, la chasse au grand capital est ouverte, beaucoup est prétexte à pointer les dysfonctionnements de notre société centrée sur la croissance ou à mettre un coup de projecteur sur notre persévérance à détruire la planète. D'ailleurs, la question centrale est peut-être là : quand la situation est désespérée, quand les décideurs restent sourds aux alertes pourtant répétées, vers qui ou quoi se tourne-t-on ? Francis Rissin pouvait être une réponse, il a montré quelques limites. Alors ? Notre salut viendra-t-il des étoiles et d'une lointaine planète encore inexplorée ? De la poésie ? D'une société secrète ? D'un héros providentiel ? Dans Le Chomor, toutes les pistes sont explorées, l'auteur n'hésite pas à convoquer Victor Hugo, Bruce Willis, Le Petit Prince ou le fameux Jean-Marie Massou qui prophétise que "c'est pour bientôt, c'est pour bientôt". Je l'ai dit, Le Chomor s'abreuve à tous les genres et à toutes les formes artistiques, Fantasy, science-fiction, poésie, littérature, cinéma, art contemporain, y compris Le livre dont vous êtes le héros (j'ai bien failli devenir folle, enfermée dans ce chapitre 7), accumule les références et les clins d’œil et vous fait passer par tous les états, avec ici et là des pointes d'humour irrésistibles.
Le propre de l'artiste c'est de nous proposer des angles de vue totalement inédits, de renverser la table, d'oser le décalage. "La caractéristique de la réalité c'est qu'elle dépasse toujours la fiction" dit l'un des personnages du roman, et il suffit de regarder autour de nous pour avoir envie d'approuver. Alors, notre monde ? Est-il fiction ou réalité ? Pas sûr que vous sortiez de cette lecture avec des réponses. Mais vous aurez vécu un feu d'artifice créatif, métaphorique et brillamment littéraire.
"Le Chomor" - Martin Mongin - Editions Tusitala - 598 pages
et "Homo Zetor" - ABC'Editions & Lagans - 120 pages