Pas de souci - Luc Blanvillain
"Chloé n'a pas, comme on dit aujourd'hui, d'identité. Elle n'appartient à aucune communauté. Elle n'est pas noire, elle n'est pas homo, encore moins trans (pourquoi encore moins ?), elle n'a pas subi d'agression, elle est affligée de parents aimants et dévoués. C'est pire que tout de nos jours."
Voilà peut-être le remède idéal au blues de la rentrée. Un roman malin, drôle mais pas con, caustique mais pas méchant. Enfin un peu quand même. J'y ai surtout retrouvé l'écho de ce qui m'avait plu dans le premier roman de Luc Blanvillain, Nos âmes seules, une justesse d'observation de notre société, un véritable angle de vue et ce léger décalage qui permet de donner au lecteur une tout autre perspective que par sa lorgnette habituelle. Sans oublier la touche d'humour qui a le mérite de faire passer la pilule en douceur ou en tout cas d'atténuer la douleur. J'ai beaucoup souri, parfois ri, preuve qu'on n'a pas besoin de mettre du rose pour créer du plaisir.
Chloé est le pur produit d'une époque où chacun a besoin de se sentir héros d'une histoire, tout plutôt que la normalité ou l'insignifiance. Puisque les apparences sont si lisses - parents aimants, pas de traumatisme d'enfance, rien, rien de chez rien pour expliquer son mal-être - Chloé se laisse facilement persuader que ses parents lui cachent un horrible secret qu'elle va se mettre en tête de découvrir. Quitte à retourner sur les lieux de son enfance en Normandie ; et même si Maxime, son meilleur ami qui est aussi le fils des meilleurs amis de ses parents n'y croit pas trop. Je ne dirai rien de ce que cette quête va déclencher, juste que la machinerie mise en branle par l'auteur est redoutable de perversité et d'efficacité et que les allers-retours entre Paris et la Normandie regorgent de personnages savoureux (j'avoue un petit faible pour l'ami Gérard) et de scènes mitonnées aux petits oignons.
Ce n'est pas un hasard si Chloé travaille dans l'audiodescription. Elle est chargée de décrire le plus précisément possible les scènes qui défilent à l'écran à destination des personnes mal-voyantes. Elle doit trouver les mots, les expressions précises qui feront naître des images dans l'esprit de l'auditeur. Dans la vie de Chloé il est déjà question d'apparences, de mise en scène et d'angles de vue. Voire d'interprétation. A partir de ce fil rouge, le romancier déroule son intrigue, observe ses personnages agir en fonction de ce qu'ils croient savoir et se délecte de les voir inévitablement s'enfoncer. Au passage, on admire l'art délicat d'égratigner certains comportements que chacun reconnaîtra (ou pas) en fonction de son vécu, de ses névroses et de ses propres fréquentations.
Tout ceci est d'une cruauté réjouissante qui appuie là où le pathétique fait mal et dont on ne ressort pas tout à fait indemne. Mais c'est tellement bien troussé qu'on pardonne tout à Luc Blanvillain.
"Pas de souci" - Luc Blanvillain - Quidam Editeur - 370 pages