Le bureau d'éclaircissement des destins - Gaëlle Nohant
Il existe dans une ville du centre de l'Allemagne nommée Bad Arolsen un organisme qui centralise les archives de l'Allemagne nazie et notamment des camps de concentration. Initié par les alliés et d'abord intitulé "International Tracing Service" il avait pour but de retrouver les personnes déplacées pendant la guerre, ce qui n'était pas une mince affaire on l'imagine très bien. C'est le point de départ du nouveau roman de Gaëlle Nohant qui a découvert son existence en 2020, en rapport avec Robert Desnos. Je n'ose penser au choc de l'exposition à de telles archives, à l'atmosphère qui peut régner dans ce lieu situé dans une ville qui fut, ironie de l'histoire, hautement inféodée aux SS. On se situe effectivement au carrefour de milliers de vies, de destins brisés. Ce roman aura ainsi au moins le mérite de faire découvrir ce lieu à ses lecteurs.
Il y a donc à l'origine de ce roman une matière énorme, l'opportunité de parler d'une période moins souvent abordée dans les livres, celle de l'après-guerre, après massacres, après libération. Les familles séparées, des enfants esseulés, sans oublier ceux qui ont été enlevés à leurs parents dans le cadre de la politique de germanisation menée par les nazis. Gaëlle Nohant choisit de l'aborder par le prisme d'une française, Irène, employée dans ce centre depuis une trentaine d'années. C'est le hasard d'un mariage avec un Allemand qui l'a conduite à s'installer dans cette région dans les années 90, à trouver ce travail et à prendre goût aux enquêtes qui l'amènent sur les traces de disparus à la demande des membres d'une famille. Lorsque nous faisons sa connaissance, la directrice vient de lui confier une mission particulière, travailler à partir d'objets sans valeur récupérés dans les camps, des objets qui dorment dans les archives depuis des décennies et qui pourraient éventuellement être rendus à des descendants. C'est à travers les enquêtes d'Irène que nous allons découvrir les destins tragiques et compliqués de plusieurs familles.
Alors, malgré l'importance du sujet et la richesse de la matière, qu'est-ce qui m'a gênée ? Plusieurs choses. D'abord la construction romanesque que j'ai trouvée brouillonne, mêlant tellement d'histoires différentes qu'il est difficile de les suivre, et des coïncidences trop belles pour être crédibles - sans parler de quelques incohérences. On enfile les situations, les faits assénés mais on n'a jamais le temps de s'en imprégner ni de les personnaliser. Je sais bien que le roman est toujours un concentré mais à ce point... La belle-famille tellement "cliché" dans l'évitement voire la négation, le meilleur ami journaliste français qui comme par hasard a aussi remué la boue des familles pétainistes dont la sienne... La révélation de la fin qui vient ajouter une couche à un vase déjà trop plein. Mais le plus ennuyeux est sans doute le manque total d'épaisseur des personnages principaux. Ils sont juste esquissés, si prévisibles, et que dire des interactions entre eux. C'est service minimum, au point qu'en refermant le livre j'avais oublié tous les prénoms. Alors bien sûr il y a des moments poignants liés aux enquêtes et à ce qu'elles mettent en évidence. Comment ne pas être sensible à ces parcours ou ces retrouvailles tronquées par-delà la mort, comment ne pas être choqué par les faits révélés ? C'est sans doute l'effet recherché. Mais moi, ça ne me suffit pas. Peut-être parce que j'ai déjà beaucoup lu sur la période mais pas seulement. Un sujet et des recherches fouillées ne font pas un roman. Il y a des essais ou des documents pour ça. Pourquoi se contenter de cette accumulation mal ficelée, pourquoi ne pas s'attacher à construire de vrais personnages avec de la chair, de ceux qui existent longtemps, qui font vibrer et portent réellement le propos ? Cette lecture m'a parfois mise en colère parce que cette matière méritait tellement mieux que ce titre aux allures feel good et cette trame romanesque grossièrement tissée.
Pourtant, tout le monde va aimer ce roman. L'aime déjà d'après ce que j'ai pu voir. Il y a suffisamment de faits terribles relatés pour secouer le quidam, le sujet le rend quasiment inattaquable et la plupart des lecteurs vont découvrir la réalité et les conséquences de certaines vérités historiques ce que l'on ne peut que saluer. Ce n'est pas parce que tout le monde va l'aimer que c'est un bon roman (encore moins un grand roman comme j'ai pu le lire), et il me laisse à moi un arrière-goût bien amer.
"Le bureau d'éclaircissement des destins" - Gaëlle Nohant - Grasset - 416 pages