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Le bureau d'éclaircissement des destins - Gaëlle Nohant

23 Janvier 2023 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans

Il existe dans une ville du centre de l'Allemagne nommée Bad Arolsen un organisme qui centralise les archives de l'Allemagne nazie et notamment des camps de concentration. Initié par les alliés et d'abord intitulé "International Tracing Service" il avait pour but de retrouver les personnes déplacées pendant la guerre, ce qui n'était pas une mince affaire on l'imagine très bien. C'est le point de départ du nouveau roman de Gaëlle Nohant qui a découvert son existence en 2020, en rapport avec Robert Desnos. Je n'ose penser au choc de l'exposition à de telles archives, à l'atmosphère qui peut régner dans ce lieu situé dans une ville qui fut, ironie de l'histoire, hautement inféodée aux SS. On se situe effectivement au carrefour de milliers de vies, de destins brisés. Ce roman aura ainsi au moins le mérite de faire découvrir ce lieu à ses lecteurs.

Il y a donc à l'origine de ce roman une matière énorme, l'opportunité de parler d'une période moins souvent abordée dans les livres, celle de l'après-guerre, après massacres, après libération. Les familles séparées, des enfants esseulés, sans oublier ceux qui ont été enlevés à leurs parents dans le cadre de la politique de germanisation menée par les nazis. Gaëlle Nohant choisit de l'aborder par le prisme d'une française, Irène, employée dans ce centre depuis une trentaine d'années. C'est le hasard d'un mariage avec un Allemand qui l'a conduite à s'installer dans cette région dans les années 90, à trouver ce travail et à prendre goût aux enquêtes qui l'amènent sur les traces de disparus à la demande des membres d'une famille. Lorsque nous faisons sa connaissance, la directrice vient de lui confier une mission particulière, travailler à partir d'objets sans valeur récupérés dans les camps, des objets qui dorment dans les archives depuis des décennies et qui pourraient éventuellement être rendus à des descendants. C'est à travers les enquêtes d'Irène que nous allons découvrir les destins tragiques et compliqués de plusieurs familles.

Alors, malgré l'importance du sujet et la richesse de la matière, qu'est-ce qui m'a gênée ? Plusieurs choses. D'abord la construction romanesque que j'ai trouvée brouillonne, mêlant tellement d'histoires différentes qu'il est difficile de les suivre, et des coïncidences trop belles pour être crédibles - sans parler de quelques incohérences. On enfile les situations, les faits assénés mais on n'a jamais le temps de s'en imprégner ni de les personnaliser. Je sais bien que le roman est toujours un concentré mais à ce point... La belle-famille tellement "cliché" dans l'évitement voire la négation, le meilleur ami journaliste français qui comme par hasard a aussi remué la boue des familles pétainistes dont la sienne... La révélation de la fin qui vient ajouter une couche à un vase déjà trop plein. Mais le plus ennuyeux est sans doute le manque total d'épaisseur des personnages principaux. Ils sont juste esquissés, si prévisibles, et que dire des interactions entre eux. C'est service minimum, au point qu'en refermant le livre j'avais oublié tous les prénoms. Alors bien sûr il y a des moments poignants liés aux enquêtes et à ce qu'elles mettent en évidence. Comment ne pas être sensible à ces parcours ou ces retrouvailles tronquées par-delà la mort, comment ne pas être choqué par les faits révélés ? C'est sans doute l'effet recherché. Mais moi, ça ne me suffit pas. Peut-être parce que j'ai déjà beaucoup lu sur la période mais pas seulement. Un sujet et des recherches fouillées ne font pas un roman. Il y a des essais ou des documents pour ça. Pourquoi se contenter de cette accumulation mal ficelée, pourquoi ne pas s'attacher à construire de vrais personnages avec de la chair, de ceux qui existent longtemps, qui font vibrer et portent réellement le propos ?  Cette lecture m'a parfois mise en colère parce que cette matière méritait tellement mieux que ce titre aux allures feel good et cette trame romanesque grossièrement tissée.

Pourtant, tout le monde va aimer ce roman. L'aime déjà d'après ce que j'ai pu voir. Il y a suffisamment de faits terribles relatés pour secouer le quidam, le sujet le rend quasiment inattaquable et la plupart des lecteurs vont découvrir la réalité et les conséquences de certaines vérités historiques ce que l'on ne peut que saluer. Ce n'est pas parce que tout le monde va l'aimer que c'est un bon roman (encore moins un grand roman comme j'ai pu le lire), et il me laisse à moi un arrière-goût bien amer.

"Le bureau d'éclaircissement des destins" - Gaëlle Nohant - Grasset - 416 pages

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D
Bon, moi qui trouvais le seul roman que j'ai lu de Gaëlle Nohant un peu léger,.. on ne peut pas dire que tu me pousses à réitérer l'expérience.<br /> Après, ta critique m'a fait penser à ce que j'avais dit des Sacrifiés. Je crois que quand on a un vrai intérêt pour un sujet, le traitement romanesque de quelqu'un qui, certes a fait des recherches, mais ne nous apprend pas grand chose de plus, ne peut que nous paraître manquer d'épaisseur et se révéler décevant.
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N
En fait ce n'est pas une question d'apprendre quelque chose, c'est plutôt la composition romanesque qui me pose problème. La matière est là et même si moi je connais déjà beaucoup je salue bien volontiers ce que cela peut apprendre à d'autres, mais quand on choisit de faire un roman il faut des ingrédients qui soient à la hauteur, a fortiori pour ce genre de sujets sur lesquels je suis très chatouilleuse.
K
C'est dommage pour le sujet qui méritait mieux, ou différent, mais tu as bien fait de donner ton avis sans fard. J'en ai un peu assez de ces romans aux sujets inattaquables qui cumulent les avis dithyrambiques alors que leurs seules qualités sont dans leur sujet, mais malheureusement pas dans leur style.
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N
Comme tu peux le constater la majorité des lecteurs de ce livre sont très enthousiastes et ne trouvent rien à redire à sa composition. Alors...
K
N'est-ce pas aussi le travail des éditeurs de suggérer des améliorations ?
N
C'est exactement ça, le sujet prend trop souvent le pas au point qu'on en oublie de regarder la composition, l'écriture, les personnages, bref tout ce qui fait un roman. Tu as parfaitement résumé :-)
K
On put rêver à ce qu'en aurait fait Philippe Sands, par exemple... J n'aime pas le romancé brouillon.
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N
Forcément le ressenti dépend beaucoup de ce qu'on a lu et de ce à quoi on est habitué ; et surtout quand on choisit la forme romanesque pour un tel sujet, il y a intérêt à être à la hauteur.