Le soleil des rebelles - Luca di Fulvio

Évidemment que je l'attendais avec impatience ce troisième opus ! Après avoir dévoré Le gang des rêves et Les enfants de Venise, je n'allais pas bouder mon plaisir. Ne faisons pas durer le suspense plus longtemps : ça a encore marché. Je suis de nouveau restée scotchée à mon fauteuil sans pouvoir lâcher ce roman avant de l'avoir fini. Luca di Fulvio est une sorte de sorcier qui mitonne à chaque fois un chaudron de potion magique composé d'ingrédients de base dont il change l'assaisonnement avec un énorme talent. Comme ces grands cuisiniers qui, s'ils débarquent dans votre cuisine se débrouillent pour vous concocter un truc savoureux avec trois fois rien.
Les ingrédients communs : des gamins qui vont surmonter l'adversité pour réaliser leurs rêves et surtout grandir, l'amour comme moteur, une ou deux figures bienveillantes et inspirantes (en général une femme, mère ou équivalent et un homme, sage ayant pas mal vécu) et quelques méchants vraiment méchants parce qu'on ne rigole pas avec les difficultés ni les violences. L'assaisonnement maintenant. Il y a eu le New York du début du 20ème siècle, ses gangs mais également ses rêves rendus possibles à ceux qui y mettent du cœur et un peu de sueur. Il y a eu la Venise du 16ème siècle, synonyme de libertés pourtant menacées par l'emprise de certains extrémistes religieux et un rythme qui oscille entre Dumas et la Comedia Del Arte. Voici maintenant le Moyen-Age, les montagnes alpines où se croisent les actuels Italie, Autriche, Suisse et Slovénie, la féodalité avec son lot d'injustices et de violences. Et un héros, Mikaël alias Marcus qui n'a rien à envier à ses prédécesseurs, Mercurio et Christmas...
Les premières pages vous mettent tout de suite dans l'ambiance. Le petit Marcus II de Saxe, âgé de neuf ans échappe par miracle au massacre de sa famille par les hommes du seigneur Ojsternik qui convoite le titre de Prince de Saxe et les terres et serfs qui vont avec. Sauvé par Eloisa, une fillette de son âge, il est caché par Agnete, la mère de cette dernière, sage-femme de son état et qui trouve un stratagème pour le faire passer pour un petit paysan qu'elle achète à Raphaël, marchand d'enfant. Autant vous dire que pour Marcus, rebaptisé Mikaël, le passage de la vie de petit prince choyé à celle de gamin mal vêtu, peu nourri et obligé de travailler est au-delà du choc. Condamné à vivre chaque jour avec sous les yeux le commanditaire du meurtre de ses parents, nourrissant des envies de vengeance, expérimentant l'odieuse qualité de serf soumis au bon vouloir de son seigneur et maître, Mikaël a devant lui un long chemin sur lequel les tentations sont grandes de s'égarer.
Inutile d'en dire plus. Une fois encore, le potentiel romanesque de cette fresque moyenâgeuse emporte le lecteur grâce à un savant dosage entre action et sentiments. Il est ici question, peut-être encore plus que dans les deux précédents, de liberté et du prix à payer pour la conquérir. Le système féodal étant une illustration parfaite d'un environnement liberticide, niant jusqu'à la valeur de l'existence de ceux qui, en tant que serfs sont considérés comme des objets sur lesquels le seigneur a droit de vie et de mort (et surtout de mort). Tout en divertissant le lecteur, l'auteur n'en déroule pas moins le fil d'un discours politique basé sur l'idéal de justice, la tolérance et la connaissance de l'autre. En projetant son petit prince dans "l'autre monde", celui des gens dont il aurait été le seigneur si tout s'était passé comme prévu, il lui ouvre un univers de questionnements et de points de vue que sa condition initiale ne lui aurait jamais apportés. En lui offrant néanmoins du grain à moudre par la voix du sage Raphaël : "A partir de ce moment tu as deux routes devant toi. Tu peux maudire le sort qui t'a enlevé tes parents, ton royaume, ta richesse, tout ce que tu avais... ou tu peux remercier la chance parce que tu es vivant. Et selon le point de vue que tu adopteras, tu deviendras un homme ou un autre, complètement différent, avec deux vies différentes."... Et le moins que l'on puisse dire c'est que Luca di Fulvio ne rend pas le choix facile à Mikaël tant les tentations sont grandes de se réfugier dans la haine et le ressentiment (même le lecteur ne lui en voudrait pas d'ailleurs).
En résumé : aucune hésitation, vous pouvez le consommer tout de suite, cul sec ou le garder comme provision de pavé pour le hamac de cet été. Pensez simplement à prévenir votre entourage que vous n'y serez pour personne pendant quelques jours. Et moi je me demande ce que Luca di Fulvio va bien pouvoir nous inventer la prochaine fois...
"Le soleil des rebelles" - Luca di Fulvio - Slatkine & Cie - 638 pages (traduit de l'italien par Françoise Brun)