Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
motspourmots.fr

Pastorale américaine - Philip Roth

5 Décembre 2024 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans, #Coups de coeur

"On lutte contre sa propre superficialité, son manque de profondeur, pour essayer d'arriver devant autrui sans attente irréaliste, sans cargaison de préjugés, d'espoirs, d'arrogance (...). Et avec tout ça on se trompe à tous les coups (...). Est-ce qu'il faut pour autant que chacun s'en aille de son côté, s'enferme dans sa tour d'ivoire, isolée de tout bruit, comme les écrivains solitaires, et fasse naître les gens à partir des mots, pour postuler ensuite que ces êtres de mots sont plus vrais que les vrais, que nous massacrons tous les jours par notre ignorance ? Le fait est que comprendre les autres n'est pas la règle dans la vie. L'histoire de la vie c'est de se tromper, encore et encore, encore et toujours, avec acharnement et, après y avoir bien réfléchi, se tromper à nouveau. C'est même comme ça que l'on sait qu'on est vivant : on se trompe."

Cette page justifierait à elle seule la lecture de Philip Roth s'il était besoin de justifier un bain d'intelligence et de talent. Ce que cette page annonce c'est le minutieux travail de l'écrivain Nathan Zuckerman pour reconstituer la vie de Seymour Levov dit "le suédois", plus de trente ans après leurs années de lycée marquées par l'admiration qu'il lui portait. Le suédois était un modèle, sportif accompli, physique atypique dans sa communauté juive et dans l'esprit de Zuckerman il en était de même de sa vie : forcément parfaite. Pourtant, en le revoyant des décennies plus tard il se rend compte de son erreur et entreprend de remonter avec sa plume le fil du drame qui a marqué la famille du suédois, et qui se confond avec le double visage de l'Amérique. Il nous offre alors une plongée dans les violences qui ont agité la société américaine dans les années 60/70 entre émeutes et opposition à la guerre du Vietnam, dans un parallèle saisissant avec les perceptions d'individus encore guidés par le modèle du rêve américain auquel ils ont adhéré avec le zèle de l'immigrant reconnaissant et en quête de salut. Il déconstruit brillamment l'image du melting-pot idéalisé en entrant au cœur des dissemblances, des dissensions, des fractures, et met en évidence la difficulté à se comprendre pour s'entendre. La famille fait ainsi figure de parfait terrain d'observation, mais c'est le brio de l'écrivain qui parvient à en faire le révélateur des maux de la société. C'est fascinant, virtuose, inimitable. 

"Pastorale américaine" - Philip Roth - Folio (Gallimard) - 584 pages (traduit de l'anglais (EU) par Josée Kamoun)

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
I
A l'inverse, c'est un de mes titres préférés de Roth (peut-être même MON préféré !).
Répondre
N
Il est très très bien, et de toute façon essayer d'opérer un classement parmi les titres de Roth c'est un peu comme décider si on préfère les saphirs ou les rubis ;-)
K
Cela fait trop longtemps que je l'ai lu ! J'avais été fascinée aussi, même si j'ai une préférence pour ses romans courts (Némésis, Indignation)
Répondre
N
Ce ne sera pas mon préféré mais comme d'habitude c'est d'une intelligence folle 🙂