J'emporterai le feu - Le pays des autres, 3 - Leïla Slimani
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"Peut-on aimer un pays qui ne nous aime pas ? Peut-on à la fois être d'ici et de là-bas ?"
Cet ultime volume de la trilogie de Leïla Slimani, inspirée par l'histoire de sa famille franco-marocaine est celui des allers-retours, entre terre de naissance et pays d'adoption, entre présent et passé, entre réalité et fiction. Dans le parcours de ses personnages s'exprime toute la complexité liée à l'appartenance, au rapport avec un territoire métamorphosé jusqu'à la disparition, à l'identité déchirée entre plusieurs cultures ; l'empreinte sournoise sur les liens familiaux d'un contexte géopolitique explosif. C'est le moment de la troisième génération, celui de Mia et Inès, les filles de Mehdi et Aïcha, dans un Maroc plus que jamais à double vitesse. Développement économique d'un côté avec enrichissement des élites, pauvreté et analphabétisme de l'autre à l'écart des grandes villes et des centres touristiques. Et toujours l’ambiguïté d'un pays aux apparences de liberté et de modération, où couvent les feux qui embrasent d'autres nations de la région et où le joug d'une monarchie pas si éclairée que ça maintient une atmosphère de crainte. C'est dans ce contexte que Mia grandit, expérimente, découvre son identité sexuelle et entreprend de faire des choix, constamment tiraillée intimement et géographiquement à l'image des autres membres de sa famille.
Ce tome est définitivement mon préféré. J'avais déjà été conquise par la profondeur des personnages, je les ai retrouvés avec bonheur. Je trouve que l'autrice tisse parfaitement la toile qui imbrique les sentiments, les confronte à l'extérieur et les relie à ceux des autres avec en arrière-plan les événements qui ont façonné notre histoire récente. Il y a la même puissance âpre d'écriture que dans les deux précédents volumes mais teintée cette fois d'une mélancolie poignante qui accentue l'écho des émotions qui traversent les protagonistes. Notamment Mehdi, sa solitude et sa façon si touchante de s'exprimer à travers les livres qui nous offre de très belles scènes.
Dans une interview, Leïla Slimani raconte qu'elle a terminé l'écriture totalement exténuée, et on la comprend tant la lecture projette avec force dans des sensations palpables dont on devine les origines personnelles, et qui font écho à nos propres douleurs face à l'action inexorable du temps qui efface et à l'oubli qui guette. Que seule la littérature peut tenter de conjurer. Nous en avons ici un magnifique exemple d'où émergent de façon subtile les origines de l'écriture. Un indéniable supplément d'âme pour marquer les esprits et les cœurs.
"J'emporterai le feu - Le pays des autres, 3" - Leïla Slimani - Gallimard - 430 pages