Le Jardin sur la mer - Mercè Rodoreda
3 Février 2025 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans
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"Moi, j'ai toujours aimé connaître tout ce qui arrive aux gens, bien que je ne sois pas bachelier... C'est parce que j'aime les gens".
Ainsi commence le récit de celui dont nous ne connaîtrons ni le nom ni le prénom, le vieux jardinier chargé de l'entretien et du gardiennage d'une belle villa de la côte catalane dont le jardin luxuriant domine la mer. Témoin discret mais attentif, installé depuis "qu'il n'est plus soldat", il a vu se succéder plusieurs propriétaires avant ce jeune couple plein de vie qui ne vient que pour les mois d'été. Alors la villa s'éveille, se remplit d'amis à demeure ou de passage, s'anime au gré des fêtes somptueuses ou des parties de plein air. On peint, on nage, on monte à cheval, on patine sur la mer, on se costume. Le narrateur observe depuis son jardin, recueille les anecdotes des domestiques et de la cuisinière autour d'un repas improvisé. Bientôt, l'agitation gagne le terrain adjacent où un acquéreur fait construire une superbe propriété. Il s'avèrera que les futurs occupants ne l'ont pas choisi par hasard mais tout ceci nous sera dévoilé par petites touches impressionnistes, au gré des étés qui se succèdent, des échos glanés dans la pénombre, de l'observation des ombres qui se glissent la nuit dans le jardin, des confidences de certains invités ou des propriétaires qui viennent s'épancher auprès du vieil homme. L'atmosphère s'épaissit, on perçoit de la douleur, des regrets sous les rires affichés et la magnificence des décors.
En filigrane apparaît le portrait d'un homme épris de son jardin, fidèle à ses souvenirs à travers ce lieu où il fut heureux et amoureux, peu dupe de la comédie sociale qui se joue sous ses yeux, conscient du temps qui s'enfuit. Sa modestie, sa sagesse, son empathie, sa pudeur contrastent avec l'agitation factice, souvent égoïste, hypocrite et vaine d'un monde d'oisifs en voie de disparition.
La délicatesse de la plume adoucit l'acuité féroce du regard habile à capturer les contradictions comme les émotions, sa précision se met au service de l'élégance du tableau. Ce roman a un charme fou, et laisse dans son sillage l'éclat rare du souvenir d'un instant parfait.
"Le Jardin sur la mer" - Mercè Rodoreda - Zulma - 252 pages (traduit du catalan par Edmond Raillard)
NB : Mercè Rodoreda (1908 - 1983) née à Barcelone a écrit ses premiers romans en exil à Paris et Genève. Celui-ci est traduit en français pour la première fois, il a été publié initialement en 1967 ; l'occasion de découvrir une autrice importante, remarquée et adoubée par Garcia-Marquez (qui écrira sa nécrologie), dont les éditions Zulma ont prévu de publier deux autres titres. Grâce à elle j'ai découvert que l'on peut patiner sur mer, exercice typiquement catalan dont j'ignorais tout.
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