L'affaire de la rue Transnonain - Jérôme Chantreau
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Je suis toujours fascinée par les vieilles photos ou gravures de quartiers que je connais, ces images qui nous parlent d'un passé oublié à moins d'y repenser très fort ou d'être écrivain et de s'attacher à le faire revivre. Au point de s'entourer de fantômes, presque plus réels que les chairs dont ils sont issus. J'ignorais que l'actuelle rue Beaubourg était le résultat d'une fusion de plusieurs artères, je n'avais jamais levé la tête en passant devant le mur où subsiste l'inscription Transnonain gravée dans la pierre. J'ignorais tout du massacre perpétré au 12 de la rue Transnonain dans la nuit du 14 avril 1834, une maison abritant un échantillon assez représentatif de la population parisienne de l'époque - artisans, ouvriers, commerçants. Cette nuit-là, l'armée a abattu tous les habitants de cette maison. Hommes, femmes, enfants. Motif ? Un nid d'insurgés. Nous sommes alors sous le règne de la dite "monarchie de juillet", celle de Louis-Philippe qui doit faire face à l'opposition active des tenants de la République. Des émeutes ont été lourdement réprimées dans plusieurs villes de France, dont celle des canuts à Lyon ; Adolphe Thiers alors Ministre de l'Intérieur veut mater la contagion parisienne, vite. Dans l'histoire, ce massacre reste entouré de zones d'ombres. Témoignages divergents, enquêtes bâclées... La presse d'opposition dénonce un crime d'état, les caricaturistes dont Daumier s'en donnent à cœur joie, le gouvernement fait traîner et noie le poisson.
C'est là qu'intervient le romancier, deux cents ans plus tard. Il s'empare des blancs, fouille les archives, rouvre le dossier et laisse vagabonder son imagination nourrie des récits de l'époque. Il redonne vie aux protagonistes, ressuscite le Paris d'avant Haussmann, celui des répliques du grand tremblement de 1789 où politiquement tout est à reconstruire. Un Paris des carrières, de la boue, des odeurs de charogne, des barricades et des bals improvisés. Mais aussi des petits métiers et de la survie. C'est une réussite particulièrement vivante, charnelle, violente.
Cette nuit-là, deux amants dormaient sous les toits, au 5ème étage. Louis Beffort est parmi les victimes, le crâne emporté par une balle. Sa compagne, Annette Vacher a disparu. Le jeune homme est désigné coupable d'avoir tiré par la fenêtre et ainsi provoqué l'assaut de l'armée. Facile, il ne peut démentir. Le romancier, lui a de sérieux doutes, nourris par son exploration des archives. Alors il lance un sacré enquêteur sur la piste de la vérité. Ancien soldat, ancien sbire de la police de Vidocq, cabossé et traumatisé à souhaits. Il n'y a plus qu'à suivre, remonter le passé des protagonistes, entrer dans les coulisses des décisions politiques à l'aune des enjeux du moment, suivre des chemins tortueux où la mort guette à chaque coin de rue. Le lecteur, scotché à son fauteuil tourne les pages avec avidité, tremble pour Annette et brûle de connaître le fin mot de l'histoire. Il s'amuse aussi du parallèle entre certains traits des politiques de l'époque et d'autres plus actuels (j'avoue que les pages 150 à 152...), il croise d'inspirantes figures oubliées des prémices de la lutte féministe, il voyage dans les bas-fonds, les cachots et les ruelles coupe-gorges avant d'emprunter des chemins plus champêtres et d'entrevoir la possibilité d'une rédemption. Enfin, il salue le travail de l'écrivain dont les mots sont des armes contre l'oubli, comme un relais à travers les âges, puisque nous venons de là aussi.
Résultat : je me suis régalée.
"L'affaire de la rue Transnonain" - Jérôme Chantreau - La Tribu - 466 pages
NB : l'occasion de saluer la naissance de cette nouvelle maison d'édition, La Tribu, dotée d'une charte graphique des plus élégantes. A suivre donc...