La femme de trente ans - Honoré de Balzac
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Dans La femme de trente ans, Julie d'Aiglemont n'a pas toujours trente ans et ce n'est pas la moindre singularité de ce texte. Sa composition étonne. Balzac peint les saisons d'une femme en six tableaux qui saisissent Julie à des moments clé de son parcours a priori classique : de fille à épouse, puis mère et grand-mère. Autant d'étapes dont l'écrivain dévoile les espoirs, les souffrances, les désillusions, les rares instants de joie, les drames et les incidences perverses de certains choix.
Sur le fond, on suit avec un mélange d'empathie et de consternation l'enchaînement des événements, depuis la première erreur de Julie ignorant les mises en garde de son père devant son béguin pour Victor d'Aiglemont et sa prestance de colonel d'empire. "Elle avait, comme on le voit, pour son malheur, triomphé de son père" nous assène l'écrivain alors que Julie s'étiole de tristesse et de déception à peine quelques mois après son mariage. Le mari est nul, il faut s'en accommoder, afficher haut sa vertu et repousser ceux qui prétendraient l'aimer mieux. Jusqu'à l'apparition de Charles de Vandenesse (le frère du Félix amoureux de Mme de Mortsauf dans Le lys dans la vallée, pour ceux qui suivent), jeune diplomate qui se pense revenu de la séduction féminine... A ce moment, Julie a trente ans, son apogée, et pour Balzac l'occasion de dénoncer ce que le mariage impose aux femmes alors qu'elles sont souvent trop jeunes pour en saisir toutes des réalités ; Julie en prend conscience trop tard mais la maturité lui permet d'en gérer les subtilités, y compris un amant. L'auteur explore toutes les dimensions du mariage, de l'intimité (dont la violence est abordée de façon assez cash) à la maternité en passant par l'adultère et ses conséquences plus pernicieuses qu'un éventuel scandale. Mais aussi les états d'âme de Julie avec une subtilité qui se traduit par exemple dans la façon dont la jeune femme découvre les paysages de Touraine, une première fois tout à sa déception de jeune mariée, une seconde en pleine euphorie amoureuse. C'est à la fois bien observé et curieusement mis en scène.
Car dans la forme, l'auteur semble prendre un malin plaisir à alterner les styles et les ambiances. Certains chapitres se terminent sur des réparties dignes du théâtre de boulevard. Les modes narratifs varient d'une partie à l'autre, alternant les points du vue, tantôt dans l'intimité d'un salon ou l'agitation mondaine d'une réception puis transposé en mer avec une attaque de pirates. L'écrivain intervient même en personne en tant qu'observateur d'une scène tragique au cimetière du Père Lachaise. C'est étrange et pourtant on n'a aucun mal à combler les trous ou à suivre les péripéties parfois rocambolesques inhérentes aux choix de Julie et dont les conséquences persisteront bien après sa mort.
C'est à la fois éminemment romanesque et plein d'acuité dans la chronique de la condition féminine, illustrée par les choix osés de certains personnages.
"La femme de trente ans" - Honoré de Balzac - Garnier Flammarion - 320 pages
Une lecture menée en parallèle avec Delphine dans le cadre de #maiavecbalzac sur Instagram.