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Un jour d'avril - Michael Cunningham

22 Mai 2025 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans

C'est le roman des décalages, des vies fantasmées et de la réalité décevante dans laquelle on s'enferme. Par manque de courage ? Pas si simple. Et Michael Cunningham, auteur du majestueux Les heures, excelle dans l'exploration des esprits qui se rêvent ailleurs et autrement sans vraiment y croire. Son terrain d'observation est ici la famille dont il réinvente les bornes et les formes tout en l'enfermant dans un espace temps aussi contraignant que propice aux cogitations.

Son parti-pris de construction saisit les protagonistes au cours de la même journée de trois années consécutives. Une fois le matin, puis l'après-midi et enfin le soir pour la dernière partie. Comme une révolution en trois temps. Le couple formé par Isabel et Dan ne semble plus très aligné même si cela reste imperceptible à l’œil nu. Seul Robbie, le frère cadet homosexuel d'Isabel qui vit dans une pièce au-dessus de chez eux pressent déjà la suite. Et peut-être à leur manière les enfants, Nathan et Violet, pour lesquels il faudrait récupérer la chambre de Robbie et ainsi provoquer un glissement irréversible dans l'harmonie de l'agencement familial. L'année suivante, l'appartement se fera prison à cause d'un fameux virus dont les conséquences rebattront les cartes.

C'est aussi le roman de l'intériorité, dominé par le couple formé par Isabel et Robbie, frère et sœur à l'esprit connecté au point d'avoir - sans se l'avouer - choisi ensemble le mari d'Isabel. Elle s'isole de plus en plus et pose un regard extérieur sur sa famille et sa vie, comme étonnée d'être là, et rêvant de sauter dans n'importe quel train au départ de Grand Central. Lui s'invente un avatar dont il romance les aventures sur les réseaux sociaux, se demandant s'il aura un jour le courage de faire coïncider sa vie réelle avec la virtuelle. 

Cette construction révèle une certaine obsession pour l'exploration temporelle (c'était déjà le cas pour Les heures, et on peut sourire lorsque apparaît une référence à Mrs Dalloway au détour d'une page), les protagonistes étant comme des pions déplacés le long d'une ligne mais dont l'esprit navigue sans arrêt entre regrets du passé, peur de l'avenir et incapacité à saisir les opportunités du présent. Car toute tentative pour désaxer sa trajectoire se paie cher. C'est à la fois finement analysé et révélateur de la complexité des liens soumis aux aléas, aux contraintes et à l'influence du tragique. 

Il ne se passe pas grand chose dans ces pages et pourtant, la perception du désespoir inhérent à chaque destin individuel fait écho aux propres sentiments du lecteur. Et creus un sillon de mélancolie jusque dans son cœur.

"Un jour d'avril" - Michael Cunningham - Seuil - 314 pages (traduit de l'anglais (EU) par David Fauquemberg)

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D
J'ai de longue date entendu le plus grand bien de cet auteur. Pour autant, il ne m'attire toujours pas...
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N
Le désir ça ne se commande pas...
K
Pourquoi pas? J'avais bien aimé Les heures (très woolfien)
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N
Oui et d'ailleurs j'ai en projet de le relire maintenant que j'ai enfin plongé dans Woolf et lu Mrs Dalloway 😊