Le Moulin sur la Floss - George Eliot
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Après l'éblouissement Middlemarch, je m'étais promis de moins tarder à poursuivre ma découverte des œuvres de George Eliot. Il m'aura tout de même fallu six ans pour trouver un créneau à ce Moulin sur la Floss mais le plaisir fut à la hauteur de l'attente.
Paru en Angleterre en 1860, c'est le deuxième roman de George Eliot. Antérieur de dix ans à Middlemarch, un peu moins foisonnant, il n'en est pas moins d'une richesse remarquable. Le décor est la petite ville de Saint-Ogg dans la campagne anglaise, traversée par la rivière Floss dont le cours tumultueux structure aussi le roman, élément omniprésent et moteur de l'intrigue. Là vit la famille Tulliver, propriétaire du Moulin de Dorlcote, terrain de jeu pour Tom et Maggie et territoire inscrit dans leur être à tout jamais. Dès le début, même dans le bonheur d'une enfance encore innocente, les rapports entre Maggie et son frère aîné laissent entrevoir les problèmes à venir. Elle l'admire et souffre lorsqu'il se montre sévère, indifférent ou moqueur. Lui est un petit coq persuadé de sa supériorité masculine ; à l'adolescence et même au-delà, ce lien déséquilibré s'avèrera bien cruel et source de souffrance. George Eliot déploie son intrigue sur une dizaine d'années au cours desquelles les deux jeunes gens font face à la faillite de leur père, ce qui lui permet d'explorer avec une verve réjouissante les réalités d'une petite société des statuts, de la morale et des apparences. Son ironie mordante fait merveille, sa façon de s'immiscer dans le récit pour interpeler le lecteur renforce l'acuité du propos. D'après les spécialistes, le personnage de Maggie emprunte beaucoup à sa créatrice : curieuse, intelligente, en grand désir d'instruction et d'indépendance, elle se heurte aux limites imposées à son genre mais ne cesse de chercher dans les livres, les arts, les joutes intellectuelles des ressources pour comprendre et décider. Sa fidélité à sa famille, au passé, à ses sentiments et au-delà de tout à son frère reste cependant une des clés essentielles de son comportement.
Ce qui est impressionnant chez George Eliot c'est la façon de tisser tous les éléments de son roman pour en faire autant une histoire captivante que le témoignage quasi-historique d'une époque et de sa comédie sociale. Elle prend le temps de fouiller la psychologie des personnages, de déployer leurs idées et leurs réflexions à l'aune de références érudites jusqu'à ce que le lecteur voie se profiler le drame à l'horizon. Impossible de ne pas se projeter, s'identifier tant les personnages sont marquants et incarnés. Le Moulin sur la Floss est un roman multi facettes - sociétale, intime, religieuse - qui offre de nombreux angles de lecture et quelques moments jouissifs, tel ce chapitre consacré à "l'opinion publique" au sarcasme délicieusement piquant.
Je me suis régalée, charmée par la densité du roman, épatée par sa tenue et sa personnalité. Une chose est sûre, je ne vais pas en rester là avec George Eliot.
"Le Moulin sur la Floss" - George Eliot - Folio (Gallimard) - 738 pages (traduit de l'anglais par Alain Jumeau)