Lanark - Alastair Gray
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On ne peut pas lire tranquillement Lanark, se laisser simplement porter par l'histoire et voir où ça nous mène. Non. La seule chose dont je sois sûre en refermant ce livre c'est que son auteur ne voulait pas d'un lecteur passif. L'effort constant qu'il lui demande explique sans doute l'empreinte de l’œuvre sur son esprit, et sa longévité. Non que le texte lui-même soit difficile, au contraire sa fluidité narrative embarque et intrigue. C'est sa structure polymorphe, les multiples influences qu'il revendique, la mobilité intellectuelle qu'il exige au gré des changements de registre - allégorie, métaphore, SF, anticipation... - , l'état de désorientation permanente du lecteur qui le distinguent et en font une expérience à nulle autre pareille.
"Une vie en quatre livres" mais qui débute par le livre 3, insère un prologue au bout de 200 pages et un épilogue bien avant la fin. L'entrée en matière déroute, le personnage de Lanark, amnésique enclenche un parcours dans un univers étrange. On se croirait chez Lynch, même effet hypnotique, absence de repère. On ne sait pas où on va et pourtant on s'accroche. On se dit qu'on a bien fait car les livres 1 et 2 nous ramènent dans un univers plus familier proche du roman social et du roman d'apprentissage dans lequel on devine une inspiration autobiographique. Le passé de Lanark s'éclaire, on a l'impression de remonter à la surface et puis... ça repart. Les repères explosent, on tente de se raccrocher à du connu, tantôt Kafka, puis Orwell... C'est normal nous dit l'auteur. L'auteur ? Oui. L'auteur se ménage une rencontre avec son personnage, savoureux échange qui vient enrichir notre perspective sur le livre dont l'intrigue se poursuit dans une spirale temporelle accélérée.
Est-ce que ça décoiffe ? Incontestablement. La trajectoire de Lanark dont l'ambition est simplement d'être aimé et de voir le soleil est imbriquée dans celle de la société dont l'auteur fait une critique savoureuse par l'absurde. Le fond de l'air est clairement politique et pas très porté sur l'éloge du capitalisme ni du matérialisme cause de (presque) tous les maux dont le moindre n'est pas d'exiger de l'art qu'il soit productif et rentable.
Non décidément on ne peut pas lire tranquillement Lanark ni faire entièrement confiance aux explications ou justifications de l'auteur, et cette intranquillité maintient cette œuvre en vie. On a envie d'en parler, on cherche à s'assurer qu'on a bien compris tout en étant conscient que son charme tient justement à cette incertitude. Pas le genre de texte qu'on oublie facilement comme le souligne à juste titre William Boyd dans une postface admirative.
Lanark ne se raconte pas, c'est un truc à vivre et ensuite on en parle entre initiés.
"Lanark" - Alasdair Gray - Suites Métailié - 836 pages (traduit de l'anglais (Écosse) par Céline Schwaller)
NB : Lanark a été publié au Royaume-Uni en 1981 mais son auteur aurait mis plusieurs décennies à l'écrire ; les illustrations qui accompagnent le récit sont d'Alasdair Gray qui a été peintre décorateur et professeur aux Beaux-Arts. Lanark est considéré comme l'un des romans les plus influents de la littérature du 20ème siècle, l'équivalent pour Glasgow de que fut Ulysse de Joyce pour Dublin.
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