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La maison vide - Laurent Mauvignier

14 Octobre 2025 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #romans, #Coups de coeur

"... ici, je ne fais que des suppositions, des spéculations - du roman - c'est ça, je ne fais que du roman..."

Que du roman, mais quel roman ! Un roman qui porte en lui la genèse et la quintessence de la littérature, qui creuse dans l'histoire familiale et la psyché collective, qui parvient à secouer, à émouvoir, à épater dans une traversée du 20ème siècle aux ingrédients archi-connus - deux guerres, un village où tout se sait, des destins de femmes contraints par le patriarcat et les événements -, un texte aux atours classiques et pourtant d'une modernité ébouriffante. Dans l'art de remplir le vide, c'est grandiose.

Le vide, c'est celui de la maison de famille abandonnée à la poussière et dans laquelle on revient un jour se confronter aux mystères des silences et des drames familiaux. Si les objets pouvaient parler, Laurent Mauvignier serait sans doute leur meilleur interprète. Un piano sale et désaccordé, une commode au plateau de marbre ébréché, des photos aux visages délibérément effacés, une décoration de guerre disparue... Voici le point de départ de cette immersion de 750 pages dans les pas d'une lignée féminine d'une petite ville de province, dans cette maison bâtie à la fin du 19ème siècle par un propriétaire terrien bien décidé à s'y ancrer pour plusieurs générations. Le visage que l'on a voulu effacer sur les photos est celui de Marguerite, la grand-mère de l'auteur et c'est un mystère qui demande à être explicité. Si ce n'est par des archives, ce sera par la plume. Pour cela il faut creuser, remonter aux origines, au moins explorer le destin de Marie-Ernestine, mère de Marguerite et unique détentrice du piano poussiéreux que personne d'autre n'a jamais touché. Peut-être regarder aussi du côté de la grand-mère de Marguerite, cette femme que l'auteur ne nomme pas autrement que "la préposée aux chaussettes et aux confitures" pendant un bon moment, manière de souligner son effacement. Ce que les archives ne disent pas, le romancier le reconstitue. Oui, il faut creuser, raconter ces vies contraintes, ces espoirs déçus, ces ambitions contrariées fracassées sur l'autel du patriarcat. Il faut raconter et tenter de faire le lien avec le suicide du père de l'auteur, fils de Marguerite.

Tout est saisissant dans ce texte. D'abord l'écriture, le style impeccable d'une ampleur qui m'a parfois rappelé Anne-Marie Garat, et d'une précision prompte à souffler le chaud et le froid. Non seulement l'immersion est totale mais l'enchaînement surprenant des sentiments relance sans arrêt le récit. Tantôt sidérée, puis émue, toujours curieuse, j'ai traversé ce siècle pourtant si souvent lu avec l'impression de le redécouvrir. Grâce sans doute à la compagnie de ces femmes si bien incarnées, aux sentiments si bien explorés pour des fantômes. J'ai rarement eu l'occasion de ressentir aussi intensément ce que produit la guerre sur les individus ou je joug patriarcal sur le destin des filles, ce que creusent les secrets dans l'inconscient des familles. Rarement eu autant conscience des différences d'appréciations temporelles , du poids des années, de la valeur du passé et du passif... 

Du vide jaillit une richesse littéraire rarement côtoyée. Je trouve mes mots bien petits pour parler de ce grand, très grand roman. 

"La maison vide" - Laurent Mauvignier - Editions de Minuit - 744 pages

 

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C
Je te prends aux mots (puisque by by FB) et ton commentaire me donne furieusement envie de commencer ma liste de livres sur KOBO par celui-ci
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N
Je ne sais pas qui se cache derrière les initiales crtp mais bienvenue par ici 😊 (et excellent choix !)
V
Au vu du succès critique et "populaire" (dans le sens grand lectorat), je ne vois pas comment on peut ne pas lui remettre le Goncourt. Certes, Carrère a la même envergure (pas le même style mais la même envergure) mais franchement non...<br /> Nathacha Appanah est une grande autrice mais elle ne fait pas le poids face à Mauvignier et si c'est pour nous refaire un coup à la Brigitte Giraud ou Paule Constant (oh comme par hasard, des femmes...), ce n'est pas la peine.<br /> Je ne vois pas les autres et notamment le Paul Gasnier : son livre est sans doute bon, je ne sais pas, mais franchement, déjà qu'on se tape tous les livres de tous les chroniqueurs de Quotidien, on ne va pas en plus filer des grands prix !!!<br /> Bon, de toute façon tout le monde s'en fout de mon avis LOOL<br /> <br /> Et oui, être détesté par Beigbeder est un gage de qualité :-)
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N
Ah non, moi je ne m'en fous pas et surtout je partage totalement !!! <br /> (après de la part des Goncourt on peut s'attendre à tout)
D
Ah là là, qu'il est tentant celui-là ! Mais je crains de n'avoir pas le temps de lecture ni la disponibilité d'esprit suffisants pour m'y attaquer ces temps-ci hélas...
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N
Ça viendra j'espère... Courage !
J
J'ai l'impression qu'il y a eut beaucoup d'agitation cette année autour de la rentrée littéraire (l'affaire Babelio, par exemple) et en particuliers le roman de Laurent Mauvignier (un article pas sympa de Beigbeder...). Heureusement que la plupart des bloggeurs ne tiennent pas comptent de ces controverses. Ton billet donne très envie de lire ce roman mais j'avoue que les 700 pages me font un peu peur.
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N
Ah les "affaires" et autres buzz... il y en a chaque année, comme si la littérature avait besoin de ça. Quant à Beigbeder rien que le fait qu'il n'aime pas (et le dise avec une telle inélégance) me pousse à lire... Preuve avec cette lecture exceptionnelle qu'il a très mauvais goût 😉
Z
De retour après quelques temps où j'ai beaucoup lu, mais pas commenté.<br /> Pas suivie la rentrée littéraire que je découvre sur vos blogues... Très tentée par ce livre
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N
Ravie de ton retour, en particulier chez moi 🙂 Parmi les grosses têtes d'affiches de la rentrée c'est le seul qui me tentait vraiment et... pour moi c'est un texte exceptionnel. J'espère que tu auras l'occasion d'y goûter. À très vite !
B
J'arrive bientôt vers la fin de ce roman. Vraiment un très grand roman. Une maison vide mais remplie de personnages fascinants . Une fresque familiale et sociale riche en émotions et racontée du point de vue des femmes de la famille notamment .Un petit bijou . De la belle littérature comme j'aime. Merci pour cette chronique.
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N
Oui de la très belle littérature, cela faisait longtemps que je n'avais pas rencontré un texte qui m'enthousiasme autant en littérature française contemporaine. Bonne fin de lecture !
C
Il a l'air vraiment d'un incontournable... de la rentrée littéraire, et de l'auteur.
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N
A mon humble avis, oui :-)
K
De tout façon j'espère bien le lire... Il était à Blois le week end dernier mais évidemment, pas vu.
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N
J'ai vu qu'il était au programme mais ce salon tombe toujours mal pour moi, trop près de celui du Mans... J'adorerais assister à une rencontre avec lui :-)