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Le problème Spinoza - Irvin Yalom

14 Octobre 2014 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans

Le problème Spinoza - Irvin Yalom

Quel était donc ce "problème Spinoza" mentionné dans des documents d'archives du régime nazi ? Quel rapport entre ce philosophe juif excommunié au XVII ème siècle et l'idéologue du parti nazi ? Il n'en fallait pas plus pour aiguiser la plume d'Irvin Yalom, psychiatre de formation et hautement intéressé par le personnage de Spinoza. A l'arrivée, un roman érudit et fascinant malgré l'âpreté de certains passages, tout juste couronné par le Prix des Lecteurs du Livre de Poche. De ces lectures dont on a l'impression de sortir un peu plus intelligent...

Le lecteur est donc invité à suivre en parallèle le parcours de Bento Spinoza, juif portugais chassé du Portugal par l'Inquisition avec nombre de ses semblables et réfugié à Amsterdam où régnait à cette époque (1656) une certaine tolérance à l'égard de tous les cultes, et celui d'Alfred Rosenberg, l'idéologue du parti nazi, viscéralement antisémite et grand inspirateur d'Hitler. Spinoza est un libre penseur, ne vivant que pour l'étude, prônant l'abolition des religions trop tributaires des intérêts de ceux qui s'en font les gardiens. Il prêche pour l'amour d'un Dieu unique et synonyme de nature au point que ses idées heurtent les autorités religieuses juives, soucieuses de leur influence sur la communauté toute entière. Spinoza est donc excommunié pour "préserver la sécurité de la communauté" et "montrer aux autorités de la ville que les chefs religieux savent tenir leur peuple". Pour Spinoza, c'est l'occasion de prendre une réelle liberté et de s'appliquer les principes qu'il a toujours prôné, inspiré en cela par les philosophes de l'antiquité qu'il découvre peu à peu et notamment Épicure. Banni de sa communauté, il aura le temps de développer ses idées et de les coucher sur le papier et sera par la suite considéré comme l'un des plus grands philosophes, influençant les plus grands de ce monde.

Et notamment Goethe. Le poète adulé et porté aux nues par l'intelligentzia nazie, comme symbole de la grandeur allemande. Et voici ce qui pose problème à Alfred Rosenberg au point de hanter tout son parcours : comment Goethe, ce génie allemand a-t-il pu se déclarer hautement influencé (il parle même d'un état de bien-être à la lecture de "L'Ethique", l’œuvre phare du philosophe) par un juif ? Même un juif excommunié, parce que pour Rosenberg, le mal est dans le sang et un juif, même converti reste perverti. Voilà pour la présentation du personnage dont on suit donc le parcours depuis ses premiers discours antisémites au sein même de son lycée en Estonie jusqu'à son procès à Nuremberg. Entre temps, il aura prêté sa plume à divers organes de propagande, lié une relation fusionnelle avec Hitler, organisé la formation idéologique des membres du parti nazi et supervisé le vol des œuvres d'art et des livres appartenant aux juifs. Jusqu'à la saisie, en février 1941 de la bibliothèque de la maison de Spinoza transformée en musée.

Irvin Yalom est psychiatre de formation, rien d'étonnant alors à ce qu'il se base sur le dialogue pour mettre en lumière les idées de chacun. Pour Spinoza, il invente un disciple, Franco, émigré comme lui mais engagé sur le chemin de la religion et persuadé qu'il pourra la changer de l'intérieur. Leurs entrevues doivent être tenues secrètes à cause du bannissement dont fait l'objet le philosophe mais leurs entretiens permettent au lecteur de se familiariser avec l'éthique et les pensées de Spinoza. Du côté d'Alfred Rosenberg, il utilise un psychiatre, ami de la famille dont l'intérêt professionnel et amical se mue en horreur au fil des séances et de l'exposé des idées issues du cerveau malade de celui qui, obnubilé par sa passion pour Hitler, sombre dans la dépression dès que ce dernier lui préfère d'autres compagnies.

Les analyses des trajectoires de chacun sont passionnantes, tout comme la description des sociétés qui les ont abrités, aux Pays Bas au XVII ème siècle et du côté de l'Allemagne et de ses satellites au début du XXème siècle. Et l'on suit avec un mélange d'effroi et de fascination l'opposition entre les deux esprits, l'amour et la joie d'un côté, la haine et la frustration de l'autre. Bravo aux jurés du Prix du Livre de Poche pour avoir remis sous les feux de l'actualité cet excellent roman dont je ne peux qu'encourager la lecture.

"Le problème Spinoza" - Irvin Yalom - Le Livre de Poche - 544 pages

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N
Un excellent roman, une très belle réussite.
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N
Ah oui, vraiment., j'ai adoré.
C
Roman,réflexion philosophique.Nous aurions tous intérêt à relire Spinoza aujourd'hui.<br /> Je commence le lecture de l'ouvrage de Irvin Yalom sur Nietzsche.
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N
Oui, je suis d'accord. Quant à Irvin Yalom, je suis loin d'en avoir fini avec lui et je vois que sa bibliographie nous réserve encore quelques bons moments.