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Mrs. Bridge - Evan S. Connell

1 Février 2016 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans

Mrs. Bridge - Evan S. Connell

La réédition de ce Mrs Bridge (et de son pendant Mr Bridge, qui forment un diptyque) est une excellente idée permettant de redécouvrir ce roman paru en 1959 et très apprécié aux Etats-Unis. Evan S. Connell a inventé le concept de Desesperate Housewife bien avant l'heure et c'est avec une belle acuité et un brin d'ironie qu'il restitue le quotidien d'une femme au foyer de l'entre-deux guerres à Kansas City qui est d'ailleurs sa ville natale. La plume est précise et légère, le regard non dénué d'une certaine cruauté. La finesse de l'ensemble offre une lecture distrayante au cours de laquelle on garde en permanence une sorte de petit sourire en coin.

"Mrs Bridge passait de longs moments à regarder dans le vide, oppressée par un sentiment d'attente. Attente de quoi ? Elle ne savait. Quelqu'un allait venir, quelqu'un avait sûrement besoin d'elle. Mais chaque jour passait comme celui qui l'avait précédé. Rien d'intense, rien de désespéré n'arrivait jamais. Le temps ne passait pas."

En 117 courts chapitres, Mrs Bridge passe du statut de jeune mariée à celui de jeune veuve sans se départir de cette chape d'ennui et de solitude qui l'enveloppe. Malgré des conditions de vie très confortables, trois enfants en pleine santé et un mari qui ne semble pas exiger grand-chose d'elle. Mrs Bridge tente d'inculquer à ses enfants les principes d'éducation qui lui ont été transmis par une longue lignée de gens "comme il faut" et surtout, elle s'attache à trouver de quoi occuper ses longues journées. On comprend vite que Mr Bridge passe son temps à son cabinet d'avocat et les deux se côtoient sans vraiment se parler. Mrs Bridge s'en remet pourtant à son mari pour tout, incapable de s'engager par elle-même dans une quelconque activité. Cette femme oisive est la reine de la procrastination, trouvant toujours de bonnes excuses pour ne pas se lancer dans un projet qui semblait pourtant lui tenir à cœur. Les dialogues avec ses enfants devenus adolescents sont savoureux de décalage. Tout comme ceux qui traduisent entre son mari et elle un terrible éloignement de pensée. Enfin, on suit avec un amusement un peu cruel les péripéties de Mrs Bridge dans son environnement social entre cocktails de voisinage qui donnent lieu à compte-rendu dans la gazette locale, concerts auxquels elle ne comprend pas grand-chose, superficialité des conversations ou encore expositions qui l'amènent à penser qu'elle devrait approfondir ses connaissances dans certains domaines (sans jamais le faire, bien sûr). Un personnage enfermé dans le carcan des apparences et des bonnes manières d'une certaine société et qui finit par en devenir touchant de tant de vacuité.

Voilà comment une vie passe sans que l'on s'en rende compte. En remettant sans cesse à demain, en oubliant d'exister par soi-même et de s'ouvrir au monde. Terrifiant passage où Ms Bridge repense au passage d'un livre qu'elle avait commencé à lire : "certaines personnes, faisait remarquer l'auteur, passent en effleurant les années de leur existence et s'en vont s'enfoncer doucement dans une tombe paisible, ignorants de la vie jusqu'à la fin, sans avoir jamais su voir tout ce qu'elle peut offrir. Ce passage elle l'avait relu, médité (...) Mrs Bridge se souvenait très bien (...) qu'elle avait laissé le livre sur la cheminée avec l'intention d'en lire davantage. Elle se demandait à présent ce qui l'en avait empêchée, où elle était allée, pourquoi elle n'était jamais revenue."

Pauvre Mrs Bridge ! Je suis bien curieuse de lire Mr Bridge et de découvrir l'histoire du point de vue du mari qui dans ce roman n'est qu'une figure patriarcale assez taiseuse et indifférente au quotidien de sa femme.

Une lecture parfaite pour souffler après l'intensité de La femme qui avait perdu son âme. Distrayante mais intelligente, comme je les aime.

"Mrs. Bridge" - Evan S. Connell - Belfond [Vintage] - 360 pages (traduit de l'américain par Clément Leclerc)

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C
je te rejoins entièrement !
Répondre
N
J'attends ta chronique alors !
D
J'aime bien l'idée du diptyque, que je trouve intéressante. Vas-tu enchaîner avec le pendant ?
Répondre
N
Enchaîner peut-être pas mais j'ai bien envie de lire la version du Mr... Je pense que l'exercice doit être virtuose.