Légende - Sylvain Prudhomme
Sylvain Prudhomme je l'ai découvert par hasard grâce au Prix des Lectrices de ELLE 2015. Avec Les Grands, il a réussi l'exploit de me capter et de m'émouvoir avec une histoire à mille lieux de mes centres d'intérêt, celle d'un groupe de musiciens en Guinée Bissau. Sa petite musique m'a longtemps trotté dans la tête, preuve de l'efficacité de sa plume. Ce fut sans conteste l'une des belles découvertes de cette aventure.
Avec Légende, on retrouve la douce nostalgie qui guidait déjà la narration du précédent roman. Par contre, point d'exotisme cette fois. Le décor est parfois désertique certes mais au sud de la France, la plaine de la Crau, aux portes de la Camargue. Une des rares étendues où la nature a encore tous les droits. Le pays de Nel, fils d'une lignée de bergers, devenu photographe, un métier qui lui permet d'immortaliser ces paysages tant aimés. Légende est une histoire d'amitié. Celle de Nel et de Matt, un autodidacte britannique tombé amoureux de la région, entrepreneur et réalisateur de documentaires. C'est Matt qui le premier a l'idée de faire un reportage sur une boîte de nuit célèbre dans toute la région dans les années 80, La Chou, haut lieu de plaisirs et d'excès en tous genre. C'est ainsi qu'il en vient à enquêter sur deux cousins de Nel, aux destins tragiques. Fabien et Christian, deux frères dissemblables, dont les trajectoires se sont écartées pour mieux se rejoindre dans la mort.
"En écoutant Toussaint hier je me suis rendu compte que c'est ça qui me touche, plus que tout : la trajectoire des uns et des autres. Ce qu'ils ont vécu. Je me focalise depuis le début sur La Chou, mais ce qui me plaît au fond dans ce lieu c'est toutes ces vies qui s'y sont rencontrées. Tous ces chemins qui s'y sont croisés."
En remontant le cours de leurs vies, c'est toute une époque qui resurgit et pour Nel une plongée dans des sentiments enfouis depuis longtemps. La figure de Fabien, son influence marquante sur la vie de Nel encore aujourd'hui. Matt ne se rend pas tout de suite compte du trouble que ses recherches provoquent chez Nel et dont leur relation pourrait pâtir. A moins qu'elle n'en sorte renforcée ?
C'est tout le charme de ce roman que de prendre son temps. Le temps du souvenir, le temps de l'introspection, le temps du partage. Un charme très différent de celui des Grands, plus subtil, plus rude aussi, en phase avec ce décor désertique et minéral. Et une portée beaucoup plus intime aussi, qui interroge sur le mystère des liens qui perdurent par-delà la mort.
"Est-ce que c'est pas toujours un peu sa propre mort qu'on prépare en relisant la vie des autres. Est-ce que c'est pas surtout à ça que servent les histoires : nous tendre un miroir."
Ce miroir, Sylvain Prudhomme le tend aussi à son lecteur qui voit s'y refléter le fantôme des années 80, sur fond de propagation du Sida. Et se voit offrir cette sensation étrange de faire corps avec Nel en épousant ses questionnements sur la façon dont se bâtit une vie, se forge une personnalité. On dirait bien qu'il touche une corde sensible.
Voilà qui confirme tout l'intérêt de l'écriture de Sylvain Prudhomme. En deux livres très différents il parvient à transmettre des émotions particulières et à marquer les esprits de sa touche singulière et profondément attachée à l'humain. Rendez-vous pour le suivant.
"Légende" - Sylvain Prudhomme - L'arbalète Gallimard - 296 pages
Voir aussi les chroniques de Papillon et d'Eva pour en savoir plus.