L'homme qui s'envola - Antoine Bello
Je m'aperçois qu'Antoine Bello est entré dans la famille des auteurs dont je me précipite sur la dernière livraison sans même me soucier du sujet abordé. De toute façon, on ne s'ennuie jamais avec lui. On joue, on réfléchit, on se régale et on se sent même plus intelligent à la fin. Et encore, je n'ai pas tout lu. Enquête sur la disparition d'Emilie Brunet a été mon premier contact avec l'auteur, j'ai adoré son parti-pris et sa façon de mener l'intrigue (quand je pense qu'on a encensé "Avant d'aller dormir"... un navet en comparaison !). Il y a eu ensuite Roman américain, irrésistible portrait de l'Amérique capitaliste et réflexion sur les moyens offerts par la littérature pour en rendre compte. Et bien sûr le jouissif Ada, brillante réflexion sur l'intelligence et la façon dont nous l'exerçons.
L'homme qui s'envola tient toutes ses promesses. Un peu moins ludique que Ada ou moins caustique que Roman américain, il offre néanmoins une belle densité dans le propos alors même que le rythme effréné de l'intrigue en fait un véritable page turner. A partir d'un thème plutôt connu - l'envie de disparaître et de changer de vie - Antoine Bello nous offre une variation tout en questionnement sur le bonheur. Car John Walker, l'homme qui décide de disparaître a toutes les apparences du bonheur. Dans son fief d'Albuquerque (Nouveau Mexique), chef d'entreprise en pleine réussite, figure de l'économie locale et nationale, il forme depuis vingt ans avec sa femme Sarah un couple envié et admiré, parent de trois beaux enfants. Il a tout, Walker. Tout sauf ce qui lui est le plus précieux : le temps. Lorsqu'il met en scène sa disparation, la compagnie d'assurances dépêche un enquêteur afin de s'assurer de la réalité du décès d'un homme qui va leur coûter 30 millions de dollars (on les comprend). Shepherd est le meilleur dans son domaine et très vite, il devine que Walker est toujours vivant...
Dans le jeu du chat et de la souris qui nous est alors proposé s'affrontent deux cerveaux que l'on imagine très bien face à face devant un échiquier, au summum de leur art. Calcul, anticipation, feinte, observation... Shepherd est peut-être le meilleur dans son domaine, il a enfin rencontré un adversaire à sa taille, pour le plus grand bonheur du lecteur qui a la chance d'explorer le fonctionnement de chacun de leurs cerveaux. Et si la majeure partie de leurs réflexions concernent tactique et stratégie pour déjouer les plans de l'autre, ils n'oublient pas d'explorer des ressorts plus intimes. D'ailleurs, la partition se joue à trois voix, celle de Sarah se joignant à celles des deux hommes. Trois voix par lesquelles s'expriment les doutes, les conceptions du bonheur, les frustrations et les envies. Où l'on s'aperçoit des différences de conception au sein même d'un couple qui offre toutes les apparences de l'entente parfaite... Où l'on s'aperçoit aussi que la notion de réussite est éminemment subjective.
Le personnage de Walker, toujours en mouvement, pressé, râlant contre ceux qui le retardent est fascinant. Il avance, décide, tranche et avance encore. Il se présente comme un faiseur, quitte à faire lui-même ce que les autres tardent trop à entreprendre, toujours dans un état d'esprit positif... Il avance, vite, mais vers où exactement ?
Voilà. Sachez qu'en disant cela, je ne vous ai rien dévoilé de ce qui se joue au cours de cette course poursuite haletante, ni de ce que chaque protagoniste va apprendre sur lui-même ou les autres. Quant à savoir qui va gagner.... vous savez ce qu'il vous reste à faire.
"L'homme qui s'envola" - Antoine Bello - Gallimard - 320 pages