Défense légitime - Véronique Sousset
Je me suis décidée à sortir ce récit de ma pile en entendant son auteure un matin sur France Inter... Un témoignage à la fois poignant et profondément utile : celui d'une avocate amenée à défendre un individu a priori indéfendable selon l'opinion c'est à dire vous et moi. Qui ne s'est pas demandé, un jour, face au pire criminel, comment on pouvait défendre cet homme ? Véronique Sousset, en prenant la parole pour livrer son expérience apporte quelques éléments de réponse et surtout de réflexion. Sans emphase, sans nier la difficulté et la complexité de la confrontation, elle tente, avec coeur et intelligence de montrer pourquoi la défense est aussi importante que légitime, quel que soit le contexte.
Véronique Sousset a donc défendu un homme coupable d'avoir tué son enfant après des années de maltraitances. Impossible de ne pas se souvenir de cette histoire sordide, de cette petite fille de huit ans objet de brimades et de coups de la part de ses parents, un couple infernal passé à travers les mailles de tous les filets de surveillances et autres signalements. Alexandre Seurat en avait fait le sujet de son premier roman, La Maladroite, dans lequel il donnait voix à l'entourage, de ceux qui n'avaient rien vu ou rien voulu voir à ceux qui avaient tenté d'alerter, en vain. Un monstre est-on tenté de penser. Non, un homme répond Véronique Sousset. Car ce serait trop facile d'écarter d'un geste la part sombre de l'humanité, de nier que l'homme peut être à l'origine du pire sans que la folie ne vienne excuser son geste.
L'auteure raconte cet épisode si particulier de sa vie. Les regards étonnés souvent, horrifiés parfois lorsque ses interlocuteurs comprennent qui elle défend ; sa réflexion profonde sur le sens de son métier et de son engagement ; ses face à face avec lui, le meurtrier qui est néanmoins homme, mari, fils et père ; ses pensées tournées sans cesse vers la petite victime, qui la surprennent dans les moindres actions de la vie quotidienne ou se voient amplifiées au contact des rires d'enfants dans un square. Mais elle ne s'apitoie pas. Elle réfléchit, elle raisonne, elle avance.
"Les longues plages de vide donnent du temps pour lire. Les couloirs du palais, les salles d'attente des cabinets des juges ne sont pas des lieux propices à l'écoute intérieure d'un texte et pourtant, là où le pire est plus souvent rencontré que le meilleur, dans cet espace où les hommes sont à vif, la lecture est un baume."
La lecture lui est donc un baume, comme pour nombre d'entre nous. Peut-être parce qu'elle explore si bien les tréfonds de l'âme humaine qu'elle apporte un éclairage toujours renouvelé sur ces points de bascule qui font passer du blanc au noir. Mais ne nous méprenons pas. L'avocate s'en tient aux faits, il n'est nullement question pour elle de réécrire l'histoire. Sa plaidoirie finale invite à une réflexion bienvenue sur le sens de la défense. Et offre une vision passionnante et dépourvue de tout effet de manche sur le rôle complexe de l'avocat.
"La propension à confondre droit et morale est néfaste à la difficile mission de juger. Il n'y a qu'à constater la pléthore de lois pénales édictées depuis ces dernières années pour répondre au gré de faits divers dramatiques, à l'émotion de l'opinion. On cadenasse, on verrouille, on gomme la réflexion au profit de la répression. Pour quel gain ? Sinon celui de la bonne conscience. Ce dossier est difficile mais il n'empêche pas d'être lucide. On peut défendre un monstre et ne pas se résoudre aux raccourcis de la morale. Si elle est un socle indispensable au bien-jugé, elle ne peut tenir lieu de motivation d'une décision. Le droit comme une digue aux bouleversements de la raison. Je m'y accroche."
"Défense légitime" - Véronique Sousset - La brune au Rouergue - 136 pages