La fille du van - Ludovic Ninet
C'est avec La fille du van que j'ai inauguré la longue série de lectures destinées à faire émerger la sélection d'automne des 68 premières fois. Tandis que plusieurs dizaines de premiers romans étaient alors annoncées, celui-ci, d'entrée m'a touchée. Et une soixantaine de lectures plus tard, il continue à me trotter dans la tête et surtout dans les tripes. Les belles figures de Sonja, de Pierre ou encore de Sabine ont laissé une empreinte durable, preuve que l'auteur a su saisir quelque chose de la détresse qui se cache en chacun de nous. Et voilà comment émerge un futur 68...
La fille du van, c'est Sonja, sa crinière rousse et son charme magnétique renforcé par une douleur, une faille qui la nimbe d'un voile de fragilité. Que fait elle, Sonja dans ce van, immobilisé dans un champ du sud de la France ? Les yeux bleus de Pierre, qui vend des poulets sur le marché sont à jamais marqués par la vision de cette femme. Comme si le destin avait choisi de faire se rencontrer ces deux êtres blessés par la vie. Ancien champion olympique de saut à la perche, Pierre a ensuite senti son destin lui échapper et la dépression le rattraper. Sonja, infirmière de retour d'Afghanistan est incapable de reprendre sa vie où elle l'a laissée. Ses yeux en ont trop vu. Les images ne la quittent plus. Comment retrouver confiance en l'avenir ?
Les âmes qui jalonnent la route de Pierre et de Sonja ne sont pas exemptes de tourments. Que ce soit Abbès, le fils de harki ou Sabine, une ancienne comédienne devenue caissière, en mal d'amour. Pour chacun, la détresse est immense, empreinte de solitude, de blessures et de manque affectif. Au contact les uns des autres, une étincelle d'espoir jaillit parfois, le projet d'une autre vie, ailleurs...
La plume de Ludovic Ninet est particulièrement efficace. Pour donner à sentir le désespoir tapi en chacun de ses personnages, cette rage qu'ils retournent contre eux, convaincus qu'ils ne méritent pas d'être heureux, voire même de vivre. L'auteur décoche ses flèches et fait mouche à tous les coups. Quand le monde vous ignore, que la gloire vous a tourné le dos et laissé exsangue, quand les traumatismes de guerre ne sont pour beaucoup que des mots... que reste-t-il pour se reconstruire ?
Voici donc un premier roman beau et fort qui distille une petite musique douce-amère, profondément humaine. Oui, l'homme est faible, fragile, friable, terriblement poreux aux drames qui l'entourent. Mises en commun, toutes ces fragilités se soutiennent, s'entraident, se consolent pour ouvrir une brèche. Par laquelle s'engouffre la vie.
"La fille du van" - Ludovic Ninet - Editions Serge Safran - 204 pages
Sélectionné pour la session automne 2017 des 68 premières fois, La fille du van va désormais voyager à la rencontre des 70 participants à l'aventure.