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La veuve des Van Gogh - Camilo Sanchez

24 Septembre 2017 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans

Je viens de passer un trop court mais délicieux moment en compagnie d'une femme que j'ignorais jusqu'alors devoir remercier car sans elle, peut-être que mon plus fort émoi artistique n'aurait jamais eu lieu. Qui sait ce que Johanna Van Gogh-Bonger, femme de Théo et belle-sœur de Vincent a accompli pour la sauvegarde puis la connaissance de l’œuvre d'un peintre que certains voulaient détruire à sa mort ? Avec ce roman sobre mais lumineux, Camilo Sanchez offre à Johanna la lumière qui lui revient si justement et au lecteur, quelques éclairages bienvenus sur une relation posthume hors du commun et captivante.

Car Vincent et Johanna ne se sont vus en tout et pour tout que quatre jours alors qu'elle était mariée à Théo depuis près de deux ans et venait de mettre au monde leur fils qui sera baptisé Vincent. La santé mentale de Vincent, ses internements et son urgence à peindre l'ont maintenu longtemps à Saint Rémy puis Auvers sur Oise. Johanna était donc spectatrice de la relation passionnelle et tumultueuse qui agitait les deux frères et ce n'est qu'après la mort de Vincent suivi de peu par l'internement de Théo, anéanti par le décès de son frère qu'elle entreprendra la lecture de leur correspondance. Plus de 650 lettres dont on connaît à présent le contenu grâce à elle et au travail d'édition qu'elle finira par mener patiemment. Mais nous n'en sommes pas là.

"Pendant qu'elle lit, elle est prise dans un jeu de miroirs. Celui qui écrit ne l'intéresse pas autant que son destinataire. Elle traque, en quelque sorte, le lecteur des lettres, pas celui qui les envoie. Ce n'est pas Van Gogh qu'elle cherche en elles. Elle cherche à comprendre qui était son mari."

A la mort de Théo, à peine six mois après le décès de Vincent, elle retourne s'installer chez ses parents avec son fils, toujours plongée dans les lettres de Van Gogh qui désormais lui livrent aussi les clés de sa peinture. La sensibilité littéraire et artistique de Johanna trouve ici un terrain captivant et lui permet de saisir la réalité du poète derrière le peintre. Des sensations qu'elle retranscrit jour après jour dans les cahiers de son journal intime, aux côtés des progrès du petit Vincent et de son cheminement personnel, celui d'une femme qui aspire à l'émancipation et à l'autonomie. Une autonomie qui s'esquisse lorsqu'elle convainc son père de l'aider à acquérir une maison de famille où elle tiendra pension, et dont elle décore les murs des toiles et dessins de Van Gogh. Vous imaginez ? La Nuit étoilée, les Tournesols, Les Iris, les paysages d'Arles et toutes ces merveilles sur les murs d'une même maison ! Le rêve ! Pour Johanna, c'est une façon d'observer les réactions des visiteurs qui sont souvent des individus habitués à parcourir le monde, ouverts à la nouveauté. Plus tard elle convaincra quelques galeristes de monter des petites expositions, puis de plus importantes...

Cette femme a donc résisté aux pressions des intégristes qui voulaient brûler les toiles "du fou", passé outre les critiques acerbes et les rebuffades des marchands d'art, fait fi de l'inintérêt de sa belle-famille pour l’œuvre du peintre. Elle s'est montrée bien plus fine et perspicace que les soi-disant experts et a pris le temps de comprendre Van Gogh et sa peinture au point de la ressentir elle-même, déclinant même les explications du peintre sur le contraste des couleurs à l'exploitation de sa vaisselle pour une meilleure mise en valeur des plats.

"Je commets peut-être une infidélité mais je vais moi aussi publier ses lettres à Théo. J'y pense depuis longtemps. Dès que j'aurai la possibilité de présenter une grande exposition je joindrai certaines lettres aux toiles et aux dessins. Leur corps théorique. Pour que l'on comprenne que chez Van Gogh chaque coup de pinceau reposait sur un langage."

On sent chez l'auteur toute l'admiration et peut-être plus qu'il porte à cette femme guidée par la curiosité intellectuelle bien plus que par la quête de richesse ou même de reconnaissance. Il nous livre ici un roman hommage, presque une déclaration d'amour à cette passeuse engagée et déterminée sans laquelle le monde de l'art aurait peut-être ignoré ou perdu l'un de ses joyaux. Respect !

"La veuve des Van Gogh" - Camilo Sanchez - Liana Levi - 156 pages (traduit de l'espagnol (Argentine) par Fanchita Gonzalez Batlle)

Delphine, avec laquelle je partage une vraie sensibilité sur les thèmes artistiques m'a judicieusement rappelé ce roman à lire avec ce joli billet d'avant l'été.

 

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Z
Vincent qu'on assassine m'attend sur la table de chevet. Je verrai celui-ci plus tard
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N
Ah Vincent qu'on assassine... une merveille ! J'espère que tu apprécieras autant que moi :-)<br /> Celui-ci est un excellent complément, il parle de l'après...
D
Camilo Sanchez répare une véritable injustice ! Dommage que ce livre n'ait pas eu davantage de lecteurs... En tout cas, je ne suis guère surprise qu'il t'ai plu :-)
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N
C'est sûr, vu mon intérêt pour Vincent, il y avait des chances qu'il me plaise. Ceci dit, j'ai été bien plus séduite que je ne le pensais et j'ai découvert grâce à ce roman un volet de l'histoire totalement méconnu en plus d'une femme incroyable ! J'ai bien fait de faire une pause dans la rentrée littéraire pour faire sa connaissance !