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Les déracinés - Catherine Bardon

5 Mai 2018 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans

C'est un premier roman impressionnant. D'abord par sa taille, un peu plus de 600 pages, ensuite et surtout par sa capacité à vous embarquer immédiatement et à ne plus vous lâcher. Je me souviens avoir dû interrompre ma lecture après la première partie pour respecter les délais dans lesquels je m'étais engagée à lire un autre roman, et je n'avais qu'une hâte : retrouver Almah et Will, le couple flamboyant de cette superbe fresque. Alors oui, il s'agit encore de la seconde guerre mondiale. Et oui, d'un épisode totalement méconnu. Mais le talent de Catherine Bardon est de maintenir tout au long du livre un haut degré de puissance romanesque tout en mettant en lumière l'incroyable destinée des juifs fuyant l'Europe centrale et accueillis par la République Dominicaine, un des rares états à accepter de leur ouvrir ses portes. Une dictature, un espace totalement vierge et un formidable défi à relever pour ceux qui ont tout quitté pour sauver leurs vies.

La première partie du livre se déroule à Vienne à partir des années 1920 jusqu'aux événements que l'on connaît. Sous la plume de l'auteure apparaît la Vienne intellectuelle et artistique et son formidable bouillonnement cosmopolite. La jeune Almah Kahn est la fille unique d'un couple appartenant à l'élite viennoise, belle, indépendante et étudiante en dentisterie, père médecin oblige. Curieuse et férue d'art, elle rencontre Wilhelm, jeune critique d'art pour un grand quotidien viennois, issu d'une famille beaucoup plus modeste, propriétaire d'une imprimerie. Coup de foudre, mariage, et début d'une vie active de jeune couple en vue tandis que bruissent déjà les échos inquiétants venus du voisin allemand. Viendront l'annexion, les mesures anti-juives, les violences... et la décision de fuir, un peu trop tardive alors que la sœur de Wilhelm et son mari ont eu la bonne idée de filer à New York dès les premières menaces. Les frontières se ferment, les visas se font rares puis introuvables. Après de nombreuses péripéties, le couple accepte la proposition d'une organisation juive en quête de volontaires pour créer une colonie en République Dominicaine, sur le modèle des premiers kibboutz. La rencontre avec cette nouvelle terre sera un choc et le début d'une nouvelle vie...

Ce sera la deuxième moitié du livre et je vous laisse la découvrir. Imaginez Wilhelm, un intellectuel dont le seul talent est d'écrire se transformer en travailleur manuel, maçon, charpentier puis agriculteur. Imaginez une terre sèche, où toutes les tentatives de culture ont échoué, un climat tropical bien différent de celui du continent européen, une langue inconnue. Imaginez une vie en communauté où chaque voix compte mais où les moments d'intimité se font rares. C'est à partir de ces éléments que Wilhelm et Almah vont pourtant construire leur vie, et que ces déracinés transplantés dans un environnement étranger vont faire en sorte de puiser les ressources nécessaires à leur survie gagnée de haute lutte. Avant que la question ne se repose une fois la guerre terminée : rester ? partir ?

La trame sur laquelle Catherine Bardon bâtit son intrigue est d'une richesse incroyable, basée sur des faits et un contexte totalement réels tandis que ses personnages sont l’œuvre de son imagination. On apprend énormément sur cette initiative, forcément intéressée de la part du dictateur dominicain mais qui était pour les associations juives une sorte d'expérimentation destinée à éprouver des méthodes qui seront ensuite mises en œuvre lorsqu'il s'agira de créer l'état d'Israël. L'occasion de rappeler (comme l'a fait dernièrement Louis Philippe Dalembert avec Avant que les ombres s'effacent au sujet d'Haïti) à quel point les portes se sont fermées à l'époque face à l'afflux de réfugiés juifs, et de constater que l'Histoire bégaye décidément un peu trop. Mais si le livre est à ce point réussi c'est que la relation entre Will et Almah donne à l'ensemble le souffle romanesque nécessaire pour faire vibrer le lecteur.

"Cette nuit-là, je découvris que j'avais besoin d'Almah pour former un tout parfait et, dans sa façon de m'aimer, je devinai une exigence d'éternité."... Lorsqu'il se fait cette réflexion, Will est encore loin d'imaginer ce que leur réserve le destin. Et il faudra toute la force de cet amour exceptionnel pour affronter les bourrasques de l'Histoire.

Bravo, donc. Pour cette fresque vibrante, passionnante, enthousiasmante et inspirante. Puisse-t-elle murmurer aux oreilles de nombreux lecteurs.

"Les déracinés" - Catherine Bardon - Les Escales - 610 pages

 

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M
J’ai découvert une belle histoire, cependant pages 562/563 une lettre datée du 30 janvier 1961 rédigée par Almah , elle écrit ..page 563, : « Dans la vieille ville de Jérusalem, j’ai suivi les étapes du chemin de Croix avec émotion, et j’ai glissé un petit papier avec mes vœux dans la Mur des Lamentations. »<br /> <br /> Deux observations de ma part :<br /> <br /> La première en 1961 , il était impossible sauf pour les diplomates étrangers de traverser la frontière entre Israël et la Jordanie.<br /> A cette époque, la vieille ville était sous annexion jordanienne, et ce n’est qu’après la guerre de 1967 que Jérusalem fût réunifiée.<br /> <br /> La seconde, j’ai des doutes qu’un juif puisse suivre avec émotion , les étapes du Chemin de Croix dans Jérusalem….
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N
Essayez par les réseaux sociaux ou alors via sa maison d'édition.
M
je ne trouve nulle part son adresse mail......
N
Merci pour ces remarques intéressantes. Peut-être devriez vous les transmettre à l'auteur directement ?
S
Je suis dans le dernier tiers du livre et je n'ai pas envie de quitter Almah et Wilhelm! Une histoire magnifique service par une très belle écriture. Remarquable lorsque l'on sait qu'il s'agit du premier roman de Catherine Bardon! Vivement le prochain!
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N
Oui ça m'a fait la même chose, et le livre a beau être dodu on en voudrait encore :-)
B
intéressant rapprochement, j'ai lu le roman d'un écrivain haïtien Louis-Philippe Dalembert, paru en mars 2017, qui raconte le destin d'un médecin juif accueilli de la même manière , beau livre aussi, intitulé Avant que les ombres s'effacent (Prix des libraires, Prix Orange...) et fait historique que je ne connaissais pas du tout moi non plus.
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N
Oui, très beau roman que j'ai lu et que je cite dans ma chronique. Par contre les approches des 2 pays sont très différentes.