Les petits garçons - Théodore Bourdeau
En terminant ce roman, j'avais dans la tête les images du générique de la série Amicalement vôtre (pardon aux plus jeunes auxquels la référence serait inconnue) où l'on voit défiler dans chaque moitié de l'écran la vie des deux héros, Brett Sinclair (aristocrate, britannique, aisé, tiré à quatre épingles) et Danny Wilde (américain, ancien voyou, roublard, un brin vulgaire), que tout oppose mais qui, réunis, forment la meilleure équipe de détectives. L'amitié a ses raisons que la raison ignore, pour parodier Pascal et celle qui s'installe entre Grégoire et le narrateur n'a pas plus de rationalité dans son épanouissement que bien d'autres. Les deux amis grandissent ensemble mais dans des mondes parallèles, symbolisés par un environnement familial très différent. Pas tant en termes de classes sociales que d'attitudes et de principes d'éducation. Chez le narrateur règne une sorte de simplicité complice et confiante tandis que chez Grégoire, l'exigence est le maitre mot. L'exigence et l'anticipation. Prévoir, se fixer des objectifs, se donner les moyens de les atteindre, ne rien laisser au hasard. Grégoire entame une marche triomphante vers une carrière politique tandis que notre narrateur se cherche, expérimente, arrive par hasard dans le journalisme, saisit les opportunités offertes par le développement du digital et se confronte aux réalités du terrain.
Il y a deux moments, deux rythmes bien distincts dans ce roman. Celui, plus lent, de l'enfance, de l'adolescence et de l'apprentissage dans un environnement encore protecteur, dont les différences ne sont là que pour servir la démonstration de la seconde partie. Où tout s'accélère, exactement comme c'est le cas lorsqu'on passe à l'âge adulte et qu'on attend de nous des choses bien différentes pour lesquelles on n'est pas forcément préparé. Plus de cocon qu'il soit celui d'une famille bienveillante ou celui d'un parcours tracé qu'il n'y a plus qu'à suivre. Place à la violence sous toutes ses formes, à la compétition, aux chausse-trappes, aux trahisons, aux jalousies. Bienvenue chez les grands ! Et quel meilleur poste d'observation que le monde politique et celui des média pour ce qui est des travers de la société. Scandales, attentats, malversations. Bienvenue chez les adultes !
Théodore Bourdeau parvient à saisir avec beaucoup de justesse, ce truc qui se loge au creux du ventre, ce moment où l'on ressent physiquement le désarroi du passage à l'âge adulte, auquel on n'est jamais préparé. L'effarement devant ce monde dont on n'avait pas appréhendé l'extrême dureté même en ayant été prévenu. Un monde dans lequel il faut néanmoins plonger, pas le choix, muni de ses précieux souvenirs, ses acquis d'une période où l'on pouvait encore se sentir protégé.
Ce roman n'a de léger que la fluidité de son écriture. Il capte l'air du temps et interroge sur la dure réalité de la confrontation avec un monde toujours plus violent, dans lequel sont projetés chaque jour de nouveaux individus à l'avenir de plus en plus flou. La chaleur de l'enfance, l'éblouissement de l'amour et la consolation de l'amitié ne seront jamais de trop pour y faire face.
"Les petits garçons" - Théodore Bourdeau - Stock / Arpège - 254 pages
Sélectionné pour la session hiver des 68 premières fois, ce livre voyagera auprès des lecteurs engagés dans l'aventure.