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Une machine comme moi - Ian McEwan

13 Janvier 2020 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans, #Coups de coeur

Je suis amoureuse du cerveau de Ian McEwan. C'est sans doute pour cela que parmi ses écrits, celui que tout le monde cite en parlant de lui, Sur la plage de Chesil est très loin d'être mon préféré. Car ce que j'aime par-dessus tout chez cet écrivain, c'est l'intelligence qu'il déploie pour positionner les couches successives qui constituent ses intrigues les plus puissantes et les plus stimulantes pour mes petits neurones qui frétillent ainsi de pur bonheur. Son humour noir se nourrit des failles de l'espèce humaine qu'il se plait à décortiquer avec la méticulosité d'un médecin légiste. Et il atteint ici des sommets, venant presque détrôner Expiation dans mon palmarès tout personnel de la collection McEwan.

"Le présent est la plus fragile des constructions improbables. Il aurait pu être différent. En partie ou en totalité, il pourrait être tout autre."

Oui, tiens. Alan Turing aurait pu ne pas se suicider en 1954, ses recherches permettre d'énormes avancées scientifiques et sociétales. Il pourrait vivre tranquillement, à Londres en 1982 avec son compagnon, admiré et respecté par la communauté mondiale pour avoir permis la création de l'Internet, ouvert la voie à la guérison de nombreuses maladies grâce aux travaux sur les cellules souche et mis sur les rails les progrès de l'intelligence artificielle. Progrès grâce auxquels Charlie, jeune homme oisif, boursicoteur à ses heures et passionné d'anthropologie et de technologie fait l'acquisition de l'un des 25 "androïdes" à l'image de l'homme tout juste mis sur le marché britannique. Paramétré par Charlie et Miranda, sa petite amie et voisine, Adam prend sa place dans le foyer, capable de faire la conversation, d'assumer les tâches ménagères ou de servir d'encyclopédie. Tout comme de composer des poèmes ou de faire l'amour à Miranda, ce qui n'est pas sans créer une situation inédite rapidement évacuée par la jeune femme ; juste "une putain de machine" explique-t-elle...  Et puis ceci est vite oublié lorsque Adam prend la main sur les opérations boursières de Charlie et commence à lui faire gagner des montants qui lui permettent d'envisager de sacrément élever son niveau de vie. Sauf que. Ce n'est pas si simple. Plus Adam explore l'activité humaine, plus il apprend plus son mal être affleure. Programmé par l'homme pour être parfait, comment doit-il réagir face au mensonge et aux nombreuses turpitudes, faiblesses, imperfections qui symbolisent justement l'espèce humaine ? Et dont Miranda et Charlie sont loin d'être exempts.

Je parlais plus haut des différentes strates qui nourrissent un roman de Ian McEwan et celui-ci en est particulièrement riche. D'abord dans la rencontre entre l'homme et la machine qui le renvoie à un face à face vertigineux avec un lui-même amélioré, qui pourrait le remplacer en tout. Ensuite dans le contexte revisité d'une année 1982 qui voit l'Angleterre de Thatcher battue par l'Argentine dans l'affrontement pour les îles Falklands, prémices d'une immense crise économique et politique dans un monde où l'on s'amuse de détails saupoudrés ici et là comme l'identité des présidents des Etats-Unis et de la France ou la présence des quatre membres des Beatles... C'est finement amené, fondu dans la narration, juste assez pour créer le décalage propice à déstabiliser. On pourrait aussi parler de la façon dont McEwan utilise les œuvres littéraires comme matière d'étude accélérée de l'espèce humaine pour Adam, connecté à une base de données illimitée. "La religion et les grandes littératures du monde ont clairement démontré que nous savons bien nous conduire. Nous exprimons nos aspirations dans la poésie, la prose, les chants, et nous savons ce qu'il faut faire. Le problème est la mise en pratique, persévérante et collective".

Ian McEwan trouve ici une façon brillante d'interroger le sens de la vie en mêlant ressources scientifiques et littéraires au service d'une réjouissante réflexion intellectuelle, aussi romanesque que cérébrale. C'est du très très grand art.

"Eh bien voilà, conclut Adam, il y a le cerveau et il y a l'esprit. Ce vieux problème, aussi insoluble chez les machines que chez les humains".

"Une machine comme moi" - Ian McEwan - Gallimard - 388 pages (traduit de l'anglais par France Camus-Pichon)

 

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E
Un de mes coups de coeur du dernier festival d'Avignon est la pièce "La machine de Turing" qui revenait sur sa vie je note le roman en prolongement!
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N
Oui tu peux car McEwan est un admirateur de Turing et il a vraiment bâti ce roman autour de lui afin de pouvoir lui donner un rôle central dans l'histoire... quitte à réécrire la réalité ;-)
N
Une superbe chronique qui donne vraiment envie de découvrir le texte d'une machine comme moi ! Merci ! Jolie découverte grâce au blog d'antigone qui m'a fait découvrir le vôtre ;-)
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N
Ce rendez-vous créé par Antigone est vraiment super pour ça et le dernier comporte une tonne de pépites et autant de tentations ! Bonne découverte alors :-)
A
Sympathique phénomène effectivement ce frétillement des neurones ! ;) Merci pour ce coup de coeur. <3
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N
Coup de coeur ou coup de cerveau... va savoir ;-)
I
Je te rejoins totalement sur cet auteur, dont Sur la plage de Chesil n'est pas mon préféré, et que je trouve même mineur dans son oeuvre. J'ajouterai que ce qui fait la force de ses récits, c'est qu'il fait par ailleurs confiance à l'intelligence du lecteur, en ne tombant jamais dans la facilité.
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N
Je vois que nous sommes complètement en phase. Et j'ai eu le grand bonheur d'aller l'écouter pendant 1h30 lors de la Nuit de la lecture à Paris, il m'a donné envie de relire tous ses bouquins :-)
K
Oh un très bon Mc Ewan, ça ne se rate pas !
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N
Oh que non ! (surtout que là, il se surpasse)
K
Je le lirai, bien sûr, je suis comme toi une admiratrice absolue d' Expiation, et je dois avoir lu presque tous ses autres romans !
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N
Bienvenue au club !
E
je pense n'en avoir lu aucun de cet auteur ! tu me conseillerais lequel pour débuter?
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N
Tant qu'à faire, je te conseille Expiation. Je pense que c'est le plus complet sur son univers, le meilleur pour se faire une idée de ce dont il est capable. Moi c'est mon préféré même si ce petit dernier va peut-être lui piquer la place...
F
J'aime beaucoup cet écrivain, j'ai adoré Sur la plage de Chesil et L'intérêt de l'enfant (j'ai encore Expiation à li!re)<br /> <br /> Je suis ravie de ce retour!
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N
Ah oui, je comprends. J'ai le même truc avec La tache de Philip Roth...
F
Je me l'offrirai :-)<br /> <br /> (En fait, je retarde la lecture d'Expiation car j'ai vu la version ciné et j'ai du mal à m'en détacher.)
N
Expiation est le livre qui m'a définitivement attachée à Ian McEwan et ensuite, je les ai tous lus (suis aussi allée récupérer les précédents, tant qu'à faire). Jamais déçue et là... c'est encore mieux que ça !
K
Pas de souci, je m'intéresse systématiquement à ses romans!
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N
Je vois que nous sommes dans la même #teammcewan ;-)