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Ma sombre Vanessa - Kate Elizabeth Russell

20 Octobre 2020 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans

Je me souviens qu'au sujet du récit de Vanessa Springora, Le Consentement, on a entendu qu'il s'agissait de circonstances particulières, d'un milieu particulier et puis aussi d'une époque. Bref, malgré les faits racontés sans se cacher derrière une fiction, certains avaient du mal à percevoir la réalité d'une telle relation et surtout le fait qu'elle pouvait être subie et non consentie malgré les apparences. Ma sombre Vanessa est un roman (la coïncidence du prénom ne doit être prise que pour ce qu'elle est : une coïncidence) et l'auteure prend bien soin de le réaffirmer dans un préambule. Pourtant, les deux livres se répondent, comme en miroir, dans des pays différents, des circonstances différentes, des époques différentes. Mais un point commun : ce processus d'emprise exercé par un homme d'autorité censé être un adulte responsable sur une jeune fille à peine pubère dont la construction mentale et sexuelle est encore vierge et surtout empreinte de fantasmes jamais confrontés à la réalité. Le roman de Kate Elizabeth Russell pourrait presque permettre de mieux appréhender le récit de Vanessa Springora, parce que le pouvoir de la fiction est justement d'offrir au lecteur une capacité de projection tandis que le récit cantonne la vie qui y est racontée à une singularité affichée. C'est extrêmement troublant.

Vanessa Wye a 32 ans et travaille en tant que concierge dans un hôtel de Nouvelle-Angleterre lorsqu'elle est contactée par une jeune femme qui a fréquenté le même lycée qu'elle, accuse l'un de ses professeurs d'abus sexuels et demande à Vanessa d'apporter son propre témoignage. En 2000, Vanessa a effectivement vécu une "histoire" avec Jacob Strane, son professeur de littérature. Elle avait 15 ans et lui 42. Mais le regard que Vanessa porte sur cette relation n'a rien de celui d'une victime. Forcée de se replonger dans la réalité de ces années, la jeune femme revisite les quelques mois de cette liaison, les conséquences sur la suite de sa scolarité et même sur sa vie de femme, les liens qu'elle a gardés avec lui. Le lecteur évolue à son rythme, d'une période à l'autre, dénouant peu à peu les fils d'un fantasme construit pour mieux cacher les détails d'une réalité sordide. Découvrant la vérité derrière le déni. Happé, scotché par cet engrenage construit autour d'un mécanisme d'emprise psychologique savamment rôdé. Et parfois révolté par certaines scènes difficiles à concevoir et pourtant nécessaires.

Car rien de plus commun que le fantasme universel d'une élève pour son professeur. Cas d'école pourrait-on dire. Admiration, émoi adolescent, envie d'être remarquée, manque d'assurance... la proie est facile. Et ce que met parfaitement en scène l'auteure c'est le déploiement de la mécanique du prédateur, l'exploitation des failles psychologiques de l'adolescence qui peuvent rendre certaines cibles plus vulnérables. Et les dégâts causés, irrémédiablement. La narration est parfaitement menée, ce qui se passe en 2017 est tout aussi intéressant que le récit des années de lycée, la double progression tient le lecteur en haleine parce que dans l'esprit de Vanessa, rien n'est évident. Si je fais le parallèle avec Le Consentement, ce n'est pas simplement à cause du prénom de l'héroïne. Il se trouve que l'intrigue est construite autour de Lolita et des écrits de Nabokov (d'où est tiré le titre du livre), que l'influence est celle d'un professeur de littérature qui se sert des textes pour exercer son emprise, à l'exact opposé de son rôle. Il se trouve enfin que la notion de consentement est au centre de ce roman qui se lit comme un thriller grâce à une tension dramatique maintenue jusqu'à la fin. Une réussite.

"Non pas que j'aie été violée. Pas "violée, violée". Strane m'a fait mal, parfois, mais jamais de cette façon. Même si, j'en suis sûre, je pourrais affirmer qu'il m'a violée, et on me croirait. Je pourrais participer à ce mouvement de femmes qui, les unes après les autres, affichent sur les murs chaque mauvaise chose qui leur est jamais arrivée. Sauf que je ne mentirai pas pour entrer dans le moule. Je ne vais pas me qualifier de victime. Les femmes comme Taylor trouvent du réconfort dans cette étiquette, et tant mieux pour elles, mais je suis celle qu'il a appelée quand il était au bord du gouffre. Il l'a dit lui-même - avec moi, c'était différent. Il m'aimait, il m'aimait".

"Ma sombre Vanessa" - Kate Elizabeth Russell - Les Escales - 450 pages (traduit de l'anglais par Caroline Bouet)

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C
Il me tente bien ce roman ! J'ai relu Lolita il n'y a pas si longtemps, et c'est fou comme ma lecture n'a pas été la même qu'à l'adolescence. Nabokov est très fort pour décrire à demi mots ces scènes où l'on sent bien que la notion de consentement est caduque. J'ai beaucoup aimé Le consentement aussi, je trouve qu'il remet bien la façon de nommer les choses à leur juste place.
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N
Alors tu devrais apprécier ce roman, Lolita y est au centre (l'auteure explique que cela fait plus de 10 ans qu'elle travaille sur son roman, bien avant la vague MeToo qui l'a obligée du coup à revoir quelque peu sa posture... cf un article dans Le Monde des Livres du 20 novembre).
K
Je ne souhaite pas lire Le consentement, en revanche, tu me tentes bien avec ce roman.
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N
J'imagine que sans avoir lu le Consentement on n'en fait pas tout à fait la même lecture, ça m'intéresserait beaucoup ton ressenti...
Z
Rien que le bandeau Stephen King me fait fuir
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N
Eh bien ce doit être un compliment pour le maître de l'horreur :-)<br /> Trêve de plaisanterie, cela n'a rien à voir avec les roman de Stephen King, il en apprécie seulement la maîtrise de la tension narrative je pense.
P
C'est le genre de sujet qui me fait un peu peur... Raison pour laquelle je n'ai toujours pas lu le récit de Springora.
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F
L'auteure indique dans ses remerciements : "Je remercie Stephen King de m’avoir soutenue dès le début, et d’avoir dit oui à mon père quand celui-ci lui a demandé : « Hé, Steve, pourrais-tu lire le roman de ma fille ? »." Ce roman représente en effet une gestation d'une vingtaine d'années. En outre Stephen King, natif et résident du Maine, comme la Vanessa du roman, s'exprime là presque en voisin. Les romans de SK traitent également d'une réalité lisse en apparence - comme un couvercle sur le bouillonnement du brouet des sorcières - auxquelles la chevelure flamboyante de Vanessa fait écho !
N
Ah oui... et Lolita est au centre de ce roman, donc...
P
Pareil... J'ai été un peu traumatisée (il y a longtemps) par le fameux Lolita de Nabokov.
N
Je peux comprendre pour le récit mais avec les filtre de la fiction ?
D
Je ne pensais pas le lire... mais tu pourrais bien me faire changer d'avis. Au-delà du sujet qui, c'est sûr, m'intéresse, je suis assez curieuse de cette tension dramatique dont tu parles - en particulier dans le cadre d'untel sujet, justement. Ceci dit, j'ai encore quelques livres sous le coude avant ;-)
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N
Ecoute, je n'étais pas bien sûre que ce soit pour moi mais la tension narrative a fait son petit effet et le parallèle qui se dessine petit à petit quand tu as lu Le Consentement est vraiment troublant et très intéressant. Alors si tu l'as sous la main, entre deux lectures bien chargées (du genre entre un effondrement climatique et un génocide), ça se lit très facilement.