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Avant elle - Johanna Krawczyk

26 Janvier 2021 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans

J'ai terminé ce court roman - lu d'une traite - en tremblant de tout mon corps. C'est dire l'intensité. Je ne suis pas plus sensible que la moyenne, j'ai souvent croisé la violence, l'immonde, l’innommable ou la douleur dans mes lectures, c'est inhérent à l'histoire de l'humanité. Ce que ce roman a provoqué en moi je ne peux que le mettre au crédit de l'auteure, à la manière dont elle tient son fil de bout en bout à partir de faits plus ou moins connus mais dont elle parvient à nous faire ressentir les ravages dans leurs multiples dimensions. A l'échelle d'un peuple. Et dans la sphère intime, celle de Carmen.

Carmen est fille de réfugiés argentins, son père est mort quelques mois auparavant la laissant pleine de questions et de silences qui la minent, l'empêchent de vivre pleinement sa relation avec sa fille, mettant ainsi son couple en danger. Enseignante, spécialiste de l'Amérique latine, son histoire personnelle se confond avec celle du régime dictatorial en Argentine dont son père a été la victime. De leurs années d'horreur, elle ne sait que quelques bribes racontées par ses parents. Un coup de téléphone va tout changer. Celui émanant d'un garde-meuble aux factures impayées suite au décès de son père. Là-bas se trouve un bureau, et dans une boîte, des carnets. Une sorte de journal intime tenu par son père depuis son enfance. Sept carnets pour autant de décennies. Pour Carmen, c'est l'occasion de découvrir ce qui lui a toujours été soigneusement caché. Un parcours qui va se révéler plein de surprises, de révélations aux conséquences inattendues, aussi tragiques que salutaires.

L'auteure parvient à donner chair et corps à une héroïne dont on ressent la douleur au point de se l'approprier. En tout cas, c'est ce qui m'est arrivé. Au fur et à mesure de sa lecture, la réalité qui se dévoile à Carmen est celle des victimes et de leurs bourreaux dont les destins se confondent. Les identités s'emmêlent, les souvenirs se fabriquent avant que les masques ne tombent une bonne fois pour toutes. Ce malaise qu'elle traînait sans en comprendre la source, Carmen va soudain en mesurer la teneur. On est au cœur du mensonge, comme savent en générer ces sociétés dictatoriales qui finissent par transformer les individus en cadavres, en bourreaux ou en traitres. Et leurs descendants en victimes.

J'ai trouvé ce roman très maîtrisé, dans son contenu comme dans son rythme, dosant parfaitement les éléments historiques factuels et la sensibilité romanesque qui permet la projection. Une lecture forte dont je me souviendrai longtemps.

"Avant elle" - Johanna Krawczyk - Editions Héloïse d'Ormesson - 160 pages

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D
Alors, c'est vrai que je l'ai lu très vite. Mais ,contrairement à toi, je crains de l'oublier aussi vite que je l'a lu. Il fonctionne bien, c'est vrai, mais il manque pour moi de chair, et je trouve qu'on sent très bien - trop bien - tout le savoir-faire scénaristique de l'auteure.<br /> Alors c'est peut-être parce que je lis volontiers les auteurs argentins, et que j'ai donc lu pas mal de romans sur la dictature, et pas seulement argentine d'ailleurs, mais j'ai en tête des titres infiniment plus marquants... et glaçants. Qui disent, au-delà de la violence inouïe, certes, la terreur, les ambivalences, les manipulations, l'emprise mentale, surtout. Et je crois que c'est ça le plus difficile à saisir...
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N
Oui bien sûr, il y a des spécificités. Bon, y a plus qu'à organiser la rencontre (on croise les doigts pour pouvoir faire un truc au dernier trimestre)
D
Ah mais oui, ce serait intéressant, en effet, de pouvoir en parler avec elle parce que je ne l'ai pas vu du tout sous cet angle-là. Mais peut-être as-tu raison.<br /> Ceci dit, si je te rejoins sur les "invariants" des dictatures, il y a tout de même une spécificité argentine avec les bébés volés (même si, visiblement, ç a a pu arriver aussi ailleurs, et notamment en Espagne sous Franco) qui est le ressort narratif sur lequel repose l'intrigue. Du coup, son histoire n'aurait pas forcément pu se passer dans un autre pays. Mais en même temps, tu as raison dans le sens où c'est cet aspect de l'histoire qui est exploité. Et peut-être aussi est-ce cela qui m'a un peu gênée. Que ce contexte ne soit qu'un pivot pour autre chose...
N
Alors ce sera intéressant d'en discuter avec l'auteure (j'espère que nous en aurons l'occasion) parce que je pense que si les faits de la dictature argentine sont bien sûr l'ossature du roman, il me semble que la focale est mise sur Carmen et sa relation au père. Il ne s'agit pas de témoigner sur ces événement en particulier, ce pourrait être la Roumanie de Ceaucescu ou autre, mais plutôt d'aller au cœur du ressenti de la fille face au mensonge qui recouvre toute sa vie. Mais je conçois que le fait d'avoir beaucoup lu sur ce contexte influe sur la façon dont tu reçois ce texte tandis que je suis assez vierge de ce côté mais par contre, j'ai beaucoup lu sur d'autres régimes pas vraiment plus tendres.
V
une réussite totale, alors ! Je note aussi, très curieuse.
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N
Pour moi, oui. J'ai hâte de lire d'autres avis :-)
D
Cette fois, pas de doute : il est pour moi, celui-là !
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N
En effet, il devrait bien te convenir celui-ci :-)