Les années sans soleil - Vincent Message
"Souvent je me demande si la littérature doit se confronter au réel dans ce qu'il a de plus massif, ou plutôt nous ouvrir à l'expérience d'un réel plus discret, secret ou méconnu."
Ce qu'il y a de profondeur dans ce questionnement sert de fil rouge à ce roman et au cheminement de son héros. Elias Torres est écrivain et libraire à Toulouse où il vit avec Camille et leurs deux enfants. En ce mois de mars 2020, l'air est chargé d'une menace, les frontières se ferment, la ville s'éteint, on se barricade. Le réel prend une forme inédite, inquiétante. Demande à s'adapter et laisse entrevoir que chacun, à son niveau sortira changé de cette expérience. L'intimité est bousculée, autant que les convictions. Les existences sont remises en cause. Pour Elias, la vie se trouve néanmoins toujours dans les livres, les poèmes de son ami Igor Mumsen, ceux qu'il lit, qu'il conseille, ceux qu'il écrit. Ceux dans lesquels il cherche inlassablement des réponses, comme ces textes qui relatent les événements climatiques de 535-536, les deux années les plus froides pendant lesquelles "le soleil avait disparu" et qui pourraient être le point de départ d'un prochain roman. Pour Maud, sa fille adolescente, le réel est dans l'engagement pour sauver ce qui peut l'être alors que dans son environnement les signaux d'alerte se multiplient. Le soleil chauffe à blanc les rues de la ville tandis que peu à peu les individus retrouvent un semblant de liberté... illusion vite chassée par la réalité d'un climat de surveillance dont la jeune fille fera les frais.
Il y a une douceur inédite dans l'écriture de Vincent Message, qui donne à la confrontation avec le réel une couleur résolument optimiste. Étrangement, c'est un sentiment de bien-être qui m'a peu à peu envahie, et l'émotion m'a étreint le cœur à la fin. Je ne m'y attendais pas. Il compose un roman relativement court dans lequel il ne se contente pas de capturer notre époque, il la met en rapport avec l'Histoire et en miroir avec la littérature, l'art et la poésie. Interroge à travers les âges notre façon de laisser des traces, de communiquer et peut-être aussi de résister. Se demande, par la voix d'Elias "si les poètes servent à grand-chose quand l'époque est à la détresse" même si "la rumeur court depuis longtemps que les textes font de bons tombeaux". Si le mot de confinement n'est jamais écrit dans ce livre, c'est pour une bonne raison : ce n'est pas le sujet, simplement le contexte qui a projeté chacun d'entre nous dans une réalité alternative avec l'obligation de changer sa façon de regarder. Qui a rebattu les cartes des cellules familiales. Et transformé nombre de perceptions du métier de vivre. Comme celle d'Elias irriguée par la contemplation de la beauté et dont l'envie de parvenir à renouer avec l'émerveillement des premières fois se fait communicative.
"J'ignorais toujours comment transplanter dans le reste de ma vie le calme que j'éprouvais lorsque je lisais un bon livre ou que je me promenais dans un jardin comme celui-ci. Ça n'était peut-être pas possible. Ou bien c'était à inventer."
Oui, inventons-le.
"Les années sans soleil" - Vincent Message - Seuil - 256 pages