L'infini dans un roseau - Irène Vallejo
C'est sans doute l'exemplaire que tout amoureux des livres est émerveillé d'avoir entre les mains et qu'il s'empressera d'offrir aux autres amoureux des livres qu'il compte dans son entourage. C'est un récit de 600 pages qui est en fait le roman passionné et passionnant dont le livre est le héros. Érudit, très documenté, bourré de références littéraires et historiques et pourtant très accessible, limpide dans l'écho qu'il parvient à trouver chez le lecteur qui a déjà éprouvé nombre de situations ou de sensations décrites. C'est au fil de l'installation de cette connivence que le lecteur prend conscience d'appartenir à une grande et belle communauté née de nombreux siècles auparavant et enrichie par la créativité, la volonté de certains, par quelques miracles aussi face aux soubresauts de l'Histoire. L'histoire du livre se confond avec celle des conteurs (et conteuses), des empereurs, des poètes, des philosophes, des rêveurs et bien sûr des lecteurs. C'est tout ceci que nous raconte Irène Vallejo, philologue de profession avec une parfaite alliance de pédagogie, d'analyse et de passion.
Elle choisit comme point de départ la volonté, le rêve fou d'Alexandre le Grand de réunir tous les livres du monde dans la grande bibliothèque d'Alexandrie. A l'époque le livre est un rouleau de papyrus plus ou moins long, compliqué à lire et à manier ainsi qu'à repérer dans l'entassement sur des étagères de personnes suffisamment riches pour les acheter ou plutôt les faire recopier. Je ne vais pas ici résumer les 600 pages de l'épopée qui nous mène jusqu'au 21ème siècle, mais il y est question du passage de l'oralité à l'écrit, du statut des écrivains, de l'avènement et du développement des bibliothèques publiques, de la transformation de l'objet jusqu'à celui que nous connaissons (il y a un avant et un après Gutenberg, bien sûr), du rôle des libraires, de l'incidence des différentes périodes historiques et notamment de celles qui ont présidé à de dramatiques destructions... et il est aussi question des lecteurs, de ce que les livres véhiculent depuis les temps anciens. Les livres sont des miraculés, le chemin que certains textes ont parcouru depuis l'Antiquité relève du parcours du combattant. Et c'est ce miracle qui se renouvelle à chaque fois que nous ouvrons un de ces livres. On croise au cours de ce récit nombre de questions que l'on se pose chaque jour, comme de savoir ce qu'est un classique (fantastique chapitre !), et on prend conscience de cette incroyable richesse contenue dans les bibliothèques et si facilement disponible à présent.
Mon exemplaire est marqué d'un nombre impressionnant de post-it, et je sais que c'est un livre que je vais souvent consulter. Non seulement il est truffé d'informations historiques, linguistiques, littéraires mais il parvient à faire le lien entre les époques. Il parle des livres mais je crois que surtout il nous parle de nous, lecteurs enthousiastes, passionnés, voraces, éclectiques, insatiables, amoureux. Un pur concentré de bonheur qui décuple - oui c'est possible - l'envie de lire.
"L'infini dans un roseau" - Irène Vallejo - Le Livre de Poche (Les Belles Lettres) - 670 pages (traduit de l'espagnol par Anne Plantagenet)