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Marcher, disent-elles...

26 Juin 2023 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Récits

Le hasard honore ici sa réputation de bien faire les choses en mettant sur ma route ces deux livres dont la lecture s'est révélée parfaitement complémentaire. Rebecca Solnit est américaine, Annabel Abbs anglaise mais elles ont en commun une passion pour la marche et des neurones avides de comprendre et de démonter des mécanismes qui semblent a priori très simples. En effet, quoi de plus évident que de mettre un pied devant l'autre me direz-vous. Pas si évident en fait, et s'interroger sur l'acte de marcher emmène dans des sphères qui coïncident avec une ardente quête de liberté.

"Comme agir et travailler, marcher exige un engagement corps et âme dans le monde, c'est une façon de connaître le monde à partir du corps, et le corps à partir du monde". Dans L'Art de marcher, Rebecca Solnit retrace la longue histoire de la marche depuis l'avènement de la bipédie et explore ses multiples dimensions à partir du moment où l'acte dépasse le simple cadre utilitaire. Elle met particulièrement en lumière le parallèle entre la marche et l'esprit à travers pléthore de références littéraires parmi lesquelles on n'est pas surpris de trouver Virginia Woolf et l'association entre promenade et flux de conscience. La marche en tant qu'activité culturelle impliquant l'imprégnation du paysage a vraiment émergé au 19ème siècle chez les romantiques anglais, et on en ressent l'effet dans la littérature de l'époque. L'écrivaine en souligne le lien avec une certaine volonté d'émancipation féminine, un moyen de s'affranchir pendant quelques heures de lourdes contraintes sociétales. Sa réflexion extrêmement riche englobe tous les terrains, villes, campagnes, sommets (marche verticale) qui sont autant de matière à analyser à l'aune des évolutions des individus et des sociétés. La liberté de se mouvoir se heurte à l'urbanisation, aux clôtures qui font parfois figure de frontières infranchissables. Enfin, Rebecca Solnit étudie l'acte de marcher en tant que manifestation politique, toujours en lien avec la défense des libertés fondamentales. C'est passionnant, érudit, profond. Et passionnément feminin, voire féministe dans sa façon de réhabiliter toutes celles qui furent pionnières en la matière mais dont les noms sont restés dans l'ombre, les récits de voyages étant la plupart du temps signés par des hommes.

C'est ce qui fait le lien avec le livre d'Annabel Abbs, c'est même son point de départ puisqu'elle choisit de se mettre dans les pas de marcheuses précoces après avoir, avec difficulté extirpé une documentation enfouie sous la notoriété des illustres mâles dont on cite les récits. Tenter de refaire les itinéraires empruntés au 19ème siècle  ou début du 20ème par Gwen Jones ou Nan Shepard, s'en tenir aux équipements sommaires de Simone de Beauvoir - espadrilles, robe et sac à dos aux lourdes armatures en fer - ce n'est vraiment pas évident. Mais c'est par ce biais qu'elle parvient à se glisser dans leur peau, aidée par ses lectures pour mieux comprendre ce qui a pu se jouer par l'exercice de la marche dans leur construction personnelle. Là aussi il est beaucoup question de conquête d'une liberté qui ne va pas de soi : s'autoriser à marcher seule alors que c'est mal vu, fuir les regards, les obligations en tous genre. L'idée de ce livre a germé alors qu'Annabel Abbs habituée à marcher s'est retrouvée immobilisée après un accident, réduite à l'immobilité et au confinement. Dans les pas de ces femmes - Frida von Richtofen dont elle a écrit une biographie romancée, Gwen Jones, Nan Shepard, Daphné du Maurier ou encore Georgia O'Keeffe - on chemine au plus près de leurs pensées et de leurs aspirations qui font écho à celles, parfois enfouies, de l'autrice. C'est captivant de les découvrir à travers ce prisme et la dichotomie entre psychologie et considérations plus pratiques vient parfaitement compléter les considérations plus théoriques de Rebecca Solnit, dans un autre style.

Marcher, disent-elles. Et c'est un mot d'ordre équivalent à une invitation à se libérer, à se découvrir au rythme de ses pas et d'un corps à corps avec les paysages traversés. Une aspiration à l'ailleurs pour mieux se rencontrer soi-même. "Virginia Woolf pensait que les femmes avaient besoin d'une chambre à elles. May Sarton croyait qu'elles avaient besoin de temps à elles. Et moi ? Moi, je crois que les femmes ont besoin d'un trajet à elles. En plein air. Loin de l'enfermement bétonné de la grande ville. Entre ciel et terre. Au bord de l'eau".

"L'Art de marcher" - Rebecca Solnit - Bibliothèque de L'Olivier - 398 pages (et des post-it partout) - Traduit de l'anglais (EU) par Oristelle Bonis

"Méfiez-vous des femmes qui marchent" - Annabel Abbs - Pocket - 428 pages (et des post-it partout aussi) - Traduit de l'anglais par Béatrice Vierne

 

Une façon de participer au thème "nature" pour le mois anglais à retrouver sur Facebook via le groupe dédié et sur Instagram @lemoisanglaisofficiel #lemoisanglais

 

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E
très intéressant tout cela!
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N
Intéressant et inspirant 🙂
D
Je ne pense pas que je les lirai, mais cela semble effectivement tout à fait intéressant.
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N
Je pense que ça pourrait satisfaire tes petits neurones, surtout le Rebecca Solnit et sa dimension plus politique... mais je comprendrais que tu préfères le hamac à la marche ;-)
F
J'ai le Solnit dans ma PAL et l'autre me fait rudement de l'oeil depuis qu'une de mes amies m'en a parlé en bien!<br /> Vive la marche, vive aussi la solitude et le bien-être qu'elle procure. Je pense me retrouver dans ce que ces deux autrices disent sur cette activité.
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N
Je les ai lus dans cet ordre (d'abord le Solnit puis Abbs) et je pense que c'est parfait, un peu comme si on avait la pratique après la théorie :-) Et j'ai pris beaucoup de plaisir avec les 2 dans des styles différents ; ils donnent envie de partir par les chemins (ou ce qu'il en reste)
K
Le premier est sur mes étagères, lu et peut être relu. Mais je ne connaissais pas le second!
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N
J'ai mis des post it partout, et je pense que je vais le consulter souvent... celui d'Annabel Abbs est très complémentaire et je pense que tu devrais apprécier la balade.