La Sentence - Louise Erdrich
Difficile quand on est une lectrice compulsive de ne pas se délecter d'un roman dont l'intrigue se déroule disons à 70% du temps entre les murs d'une librairie, où la majorité des personnages principaux sont libraires ou lecteurs et qui - cerise sur le gâteau - offre sept pages de listes d'ouvrages conseillés par la propriétaire de la librairie, une certaine Louise. Cette librairie de Minneapolis est devenue la deuxième maison de Tookie, embauchée après sa sortie de prison. Deuxième vie, seconde chance pour Tookie : un mariage avec Pollux ancien flic et gardien des traditions amérindiennes, son travail à la librairie qui la passionne et puis Hetta, la nièce-fille de Pollux qui pourrait bien éveiller en elle quelque sentiment maternel. Encore faudrait-il accepter d'enterrer le passé, s'autoriser à mériter un peu de bonheur ; pas simple dans une ville bientôt à feu et à sang après la mort de George Floyd. Encore moins lorsque le fantôme de l'une des meilleures clientes de la librairie, récemment décédée, revient hanter les lieux et plus particulièrement le sillage de Tookie. Il semble que des choses restent à régler, il faudra trouver quoi.
Si le roman embrasse beaucoup de thèmes liés à la famille, aux origines, au racisme et à l'intolérance, offrant une plongée à 360° dans le mal-être - et ses origines - des populations amérindiennes, le personnage de Tookie suffit à emporter l'adhésion du lecteur tantôt révolté, tantôt ému mais toujours en empathie. Néanmoins, le supplément d'âme du livre se situe dans cette librairie, dans les rapports qu'il révèle entre libraires et lecteurs, les liens singuliers qui se tissent. Véritable carrefour, lieu de vie et miroir des nœuds de tension qui persistent à l'extérieur. Fragile îlot de tranquillité pendant que sévissent Covid et manifestations violentes. De ces lieux qu'il est vital de préserver. A l'image du parcours de Tookie, des visites du "Mécontentement" le client le plus exigeant de la librairie, des errements du fantôme de Flora dans les rayonnages de la réserve, La Sentence est une ode au pouvoir réconfortant, voire rédempteur de la littérature, source de connaissance autant que de plaisir. C'est un plaisir de noter les nombreuses références disséminées dans les pages, de s'amuser des noms des piles de Tookie ou de chercher comment établir sa propre liste de "courts romans parfaits" ; le seul hic étant la somme des envies que génère cette lecture, une seule vie n'y suffira sans doute pas.
"La Sentence" - Louise Erdrich - Albin Michel - 434 pages (traduit de l'américain par Sarah Gurcel)