Bien-être - Nathan Hill
Voilà un roman génial - sans doute mon plus énorme plaisir de lecture de la rentrée à ce jour - dont il ne faudrait presque rien dire pour laisser aux futurs lecteurs un maximum de surprises. A tous ceux qui se demandent ce qu'un énième roman sur le couple peut apporter de neuf je dis : vous n'imaginez même pas. Au vu de la bibliographie insérée en annexe on comprend que Nathan Hill n'a pas fait que s'inspirer de sa propre expérience ou de celles de ses proches ; la précision de son approche psychologique en est le fruit, son talent de romancier fait le reste.
Car il en faut du talent pour orchestrer cette matière complexe sans jamais tomber dans l'explicatif ou la démonstration. Bien au contraire, les situations sont brillamment mises en scène, la construction distille son lot de surprises, le plaisir du lecteur va crescendo. Le premier chapitre - parfait - décrit la rencontre de Jack et Elizabeth à Chicago, à la fin des années 80. Jeunes, étudiants - lui en arts, elle en psychologie, pleins de rêves, de milieux différents mais si amoureux, émancipés de leurs familles et résolument tournés vers l'avenir. Ils se marièrent donc..., et on les retrouve dès le deuxième chapitre vingt ans plus tard sur le point d'acheter un appartement, événement qui va révéler la distance installée entre eux. Classique, me direz-vous. Attendez, vous répondrai-je. Lisez.
Lisez car les 600 pages qui viennent ensuite sont une formidable déconstruction de la mécanique psychologique qui conduit à l'illusion du bonheur. Illusion dont nous avons tant besoin pour vivre. La construction, tout en allers et retours temporels permet d'explorer les diverses influences auxquelles sont soumis les êtres, des plus évidentes (la famille) aux plus surprenantes (les algorithmes). Si la surprise est permanente c'est que Nathan Hill ose des parallèles ingénieux qui ancrent parfaitement son roman dans un territoire (les États-Unis) et dans la modernité (le parallèle entre le mariage et la technologie est savoureux). Tout est fouillé, travaillé à l'aide de personnages secondaires grandioses (et là je me force à ne pas développer). Il balaye toutes les certitudes, décortique la façon dont les croyances ou les illusions prennent le dessus sur les faits avec une intelligence jubilatoire et quelques scènes d'anthologie (une scène de ménage avec sous-titres, la mécanique perverse des algorithmes, une... non, stop, laisser au futur lecteur le plaisir de la découverte j'avais dit).
Il y aurait encore beaucoup à dire tant la matière est dense - sur la perception de Chicago, sur l'acuité avec laquelle l'auteur photographie la classe moyenne, sur cette société de l'évaluation et de la performance... - et j'ai hâte de pouvoir échanger avec d'autres lecteurs. Mais l'essentiel tient en un seul mot que je répète avec délectation : génial !
"Bien-être" - Nathan Hill - Gallimard - 680 pages (on prendrait bien un peu de rab) - Traduit de l'anglais (EU) par Nathalie Bru