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Le rire du grand blessé - Cécile Coulon

12 Septembre 2015 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans

Le rire du grand blessé - Cécile Coulon

Après Le cœur du Pélican et la découverte de sa plume incisive, je m'étais promis de lire autre chose de Cécile Coulon ; j'ai retrouvé dans Le rire du grand blessé, la force de l'écriture qui m'avait séduite, cette capacité à exprimer la violence, à donner corps à des émotions et des sentiments trop enfouis. Tout ceci au service d'une histoire qui ne peut qu'horrifier les amateurs de littérature, ceux qui voient en elle un moyen de s'élever, d'élargir leur horizon et de s'émanciper. En nous montrant ce que cet outil pourrait devenir entre les mains de personnes mal inspirées, elle donne à réfléchir et appelle à la vigilance.

Pas d'indication de temporalité ni de lieu mais une société où règne la dépersonnalisation, un état dirigé par Le grand, un ordre assuré par des Agents seulement distingués par des numéros. Le héros du livre s'appelle 1075 et c'est l'un des meilleurs de sa catégorie. Devenir Agent lui a permis de quitter sa famille et les travaux des champs qui lui étaient dévolus, une vie de pauvreté qu'il ne regrette pas. Il est passé par des épreuves de sélection physiques et psychologiques extrêmement éprouvantes dont il est venu à bout. Des épreuves auxquelles on n'est admis à concourir qu'à une condition : ne savoir ni lire, ni écrire.

Car dans cette société dont l'évocation donne des frissons, la littérature est devenue un moyen de pression, de coercition sur une population dont on a savamment organisé le manque afin de lui délivrer ensuite les doses qui permettent au gouvernement de contrôler ses émotions. Au motif de garantir l'ordre social. Pour cela, les livres tels que nous les connaissons ont disparu, laissant la place à des "livres-fonction" comme les livres chagrins ou les livres frissons. Plus d'auteurs mais des écriveurs chargés de livrer les feuillets qui sont ensuite lus à haute voix lors de Manifestations à Hauts Risques où un public en transe vient faire le plein d'émotions qu'on lui inocule comme une drogue. Ce sont ces manifestations que les Agents sont chargés d'encadrer et c'est pourquoi ils ne doivent pas faire partie des drogués.

"La liberté, tels le vin, les femmes et les Livres, tuait les hommes qui en consommaient trop. Elle les gangrenait, ils ne pensaient qu'à elle, comme à une fille qu'ils auraient croisée une fois sans oser l'aborder. Une saleté ! L'illusion du pouvoir, la certitude idiote qu'il nous reste un trésor quand on a tout perdu. 1075 détestait les hommes libres, parce qu'ils ne possédaient rien, et qu'ils en étaient fiers".

Bien sûr, il y aura un grain de sable. Et 1075, le meilleur d'entre tous se verra soudain confronté à la possibilité d'un autre monde. L'occasion pour l'auteure de faire passer quelques messages. Sur la pensée que l'on veut imposer, sur le désir de certains de tout contrôler, sur le danger d'une volonté d'annihiler tout libre-arbitre, sur la nécessité de rester ouvert et vigilent. En permettant à certains de s'approprier le pouvoir des livres pour servir leurs propres desseins, elle pointe la fonction essentielle du livre tel que nous le concevons : un instrument de liberté si puissant que tous les pouvoirs totalitaires se sont toujours efforcés de le détruire.

Ce n'est jamais inutile de le rappeler.

"Le rire du grand blessé" - Cécile Coulon - Points - 136 pages

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V
Une belle plume , une vraie intrigue et pas un gramme d'autofiction, quel bonheur!
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N
C'est vrai ! Une auteure que je suis avec beaucoup d'intérêt et de curiosité.