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D'après une histoire vraie - Delphine de Vigan

1 Décembre 2015 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans

D'après une histoire vraie - Delphine de Vigan

Jolie performance, bravo ! Pourtant, j’ai abordé cette lecture avec beaucoup de scepticisme, tracassée par quelques échos assez tièdes piochés par-ci par-là, inquiète également à l’idée de ne pas retrouver la puissance de Rien ne s’oppose à la nuit. En effet, que pouvait-elle bien donner à lire après ça, Delphine de Vigan ? La curiosité a été la plus forte, aiguisée par l’influence de ma libraire préférée qui a su trouver les mots, comme toujours. Et j’ai bien fait. Parce que la réponse de l’auteure est savoureuse et vaut largement le détour.

On dit beaucoup que c’est un roman sur la possession, une sorte de thriller sous le parrainage revendiqué de Stephen King, un exercice de style bien mené voire une parodie. C’est vrai. Mais ce n’est que la forme, le prétexte pour traiter du vrai sujet : l’écriture, le processus de création, l’inspiration bref, tout ce qui fait l’écrivain. Certains diront que ce n’est pas très nouveau. Effectivement, les romanciers aiment particulièrement interroger l’essence de leur métier. On l’a vu récemment avec Laurent Binet mais aussi avec Ian McEwan et son Opération Sweet Tooth qui, sous prétexte d’une parodie de roman d’espionnage proposait une habile réflexion sur les sources d’inspiration de l’écrivain. Delphine de Vigan est exactement dans ses traces, sauf qu’elle va beaucoup plus loin. Parce que contrairement à McEwan, c’est son sujet principal. Et elle le traite jusqu’au bout. Jusqu’au dernier mot et sa petite étoile…

Question centrale : le romancier doit-il à tout prix écrire le réel ? Doit-il privilégier le vrai et délaisser la pure fiction ? Les lecteurs ont-ils à ce point besoin de vérité ? C’est le débat qui anime les discussions entre Delphine et L., sa mystérieuse amie. Alors que l’écrivaine peine à entamer l’écriture d’un nouveau roman, sa rencontre avec L. l’amène à douter du sujet sur lequel elle pensait travailler, jusqu’à enrayer totalement son processus de création. Alors que L. s’installe peu à peu dans sa vie, Delphine en devient de plus en plus dépendante tout en s’interrogeant sur ses motivations. Pourquoi L. s’arrange-t-elle toujours pour qu’elles soient seules toutes les deux. Pourquoi n’a-t-elle jamais rencontré François, le compagnon de Delphine ? Au fur et à mesure que l’on avance dans la narration, les questions s’empilent, rendant la lecture haletante. Que veut cette femme ? Comment tout cela va-t-il se terminer ?

Jusqu’à ce que se pose l’ultime question : L. existe-t-elle vraiment ? Avons-nous affaire à une sorte de schizophrénie ? L. est-elle elle ou bien une autre ? C’est ce qui rend le roman passionnant. On entre dedans par le réel, ou son illusion donnée par tous les éléments qui sont là pour nous le faire croire. Les prénoms des protagonistes, la mise en scène de son double par l’auteure, la relation exacte de la folie autour du succès de son dernier livre que l’on connaît, à laquelle on a pris part. Au départ, la rencontre avec L. semble parfaitement anodine, dans l’ordre des choses. L. est écrivain aussi, mais écrivain de l’ombre, un de ces nègres chargés d’écrire des vies à la place de ceux qui les ont vécues mais sont incapables de le faire eux-mêmes. Une femme habituée à se glisser dans la vie des autres… Trop simple ? Effectivement.

Ce livre est à la fois un jeu et un véritable tour de force. Delphine de Vigan s’empare de thèmes qui ont dû saturer les discussions autour d’elle après son succès et le contenu du roman concerné, tous ces atermoiements autour du réel, de la fiction, de la part de vérité et de l’invention. Elle parvient à tricoter une intrigue à triple détente qui mêle thriller, introspection et questionnement. Résultat : on tourne les pages d’abord sagement puis de façon frénétique, partagé entre le voyeurisme dans lequel souhaite nous entraîner l’auteure et une petite voix qui nous incite à nous méfier de ce que l’on nous raconte.

Delphine de Vigan signe là une très jolie performance, une de celles qui vous trotte dans la tête pendant un moment. Et qui s’inscrit de façon très logique dans son parcours d’écrivain. Enfin, si c’est bien elle qui a écrit ce livre…

"D'après une histoire vraie" - Delphine de Vigan - JCLattès - 480 pages

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C
J'ai adoré ce livre, je l'ai dévoré, et pourtant je ne voulais pas le lire quand il est sorti. Trop de tapage autour et je suis plutôt méfiante du succès commercial. Je réalise maintenant que ce livre peut rencontrer un tas de publics différents. Ce Goncourt des lycéens est d'ailleurs une belle récompense (j'ai remarqué que je suis toujours d'accord avec ce Goncourt des lycéens). <br /> Je l'ai donc adoré pour l'intrigue, la triple détente et le suspens bien mené ; et aussi pour le décryptage du processus de création de l'écrivain que j'ai trouvé très inspirant. Le style est fluide et on n'a pas envie de lâcher ce bouquin avant de l'avoir terminé. C'est brillant !<br /> Finalement je crois que je vais lire "Rien ne s'oppose à la nuit", super contente d'aborder les deux ouvrages dans cet ordre-là.
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N
Contente qu'il t'ait plu... Moi aussi j'étais réticente au départ et puis ma libraire préférée a trouvé les mots qui ont titillé ma curiosité. Grand bien lui en a pris ! Sinon, à part Rien ne s'oppose à la nuit, très fort, j'ai beaucoup aimé Les heures souterraines, sur les solitudes urbaines et le harcèlement moral en entreprise...
J
Merci pour cette très belle critique sur ce livre que j'ai adoré. <br /> Je me suis précipitée dès sa sortie sur ce nouveau roman de cet auteur que affectionne tout particulièrement.<br /> On peut dire qu'elle nous surprend et nous tient en haleine tout au long de ce roman qu'on ne peut pas lâcher. <br /> C'est une très belle réflexion sur la puissance du réel et sur la fiction dans le roman.<br /> Auteur qui mérite amplement le Renaudot et le Goncourt des lycéens pour ce roman hors normes.
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N
Oui, franchement, elle m'a bluffée là. Un roman d'une belle densité et d'une belle facture. Chapeau !