La salle de bal - Anna Hope
Le chagrin des vivants avait été l'une des très belles surprises de l'hiver 2016. Un premier roman très prometteur à la fois enthousiasmant et convainquant dans l'exploration des sentiments. J'avoue que ma rencontre avec Anna Hope avait déjà aiguisé mon envie de découvrir son deuxième opus dont elle nous avait dit quelques mots lors d'une soirée mémorable dans les locaux de Gallimard. Elle nous avait notamment parlé de cette salle de bal dont la découverte l'avait bouleversée au point d'en faire l'un des personnages de son roman.
En fait, je savais que ce roman allait me plaire. Je l'ai acheté dès sa parution et je l'ai gardé un moment, heureuse de penser à sa lecture prochaine. Mais je ne m'attendais pas à un tel coup de cœur. Car Anna Hope fait mieux que tenir les promesses du premier. Elle entre directement dans la catégorie des grandes romancières, et je suis à présent certaine que je ne raterai pas un seul de ses prochains livres, comme c'est le cas pour Jonathan Coe ou William Boyd.
Avec La salle de bal, Anna Hope continue d'explorer des pans de l'Histoire méconnue de la Grande Bretagne. Le chagrin des vivants se penchait sur la douleur de l'après-guerre en 1920 ; cette fois, l'auteure recule un peu dans le temps et nous transporte en 1911, période de crise économique qui précède l'embrasement mondial. Nous sommes dans le Yorkshire et l'action prend place dans un asile d'aliénés, une institution qui accueille des centaines de femmes et d'hommes qui vivent séparément. Les hommes travaillent à l'extérieur, dans les champs tandis que les femmes exécutent différentes tâches d'entretien à l'intérieur. L'unique occasion de se croiser est le bal du vendredi soir où seuls sont admis les pensionnaires à la conduite irréprochable. C'est là que John Mulligan observe Ella Fay, la nouvelle arrivante sous le regard perçant du Dr Charles Fuller que ses talents de violoniste ont conduit à la tête de l'orchestre chargé d'animer les bals.
Anna Hope bâtit un roman à trois voix avec une virtuosité phénoménale et parvient à nous passionner avec des ingrédients dont on n'aurait pas soupçonné le pouvoir addictif. A commencer par la vie dans cet asile de Sharston dans laquelle elle nous projette avec une facilité déconcertante. A travers les histoires respectives d'Ella et de John, elle dépeint la société britannique de l'époque, le rejet des irlandais, les discriminations sur fond de crise économique et de misère. Le travail des enfants dès l'âge de huit ans. Elle questionne sur la facilité avec laquelle on internait quelqu'un pour des broutilles sans réel moyen pour cette personne de faire valoir ses droits. Elle rappelle, grâce au personnage de Clemency qui se lie d'amitié avec Ella à quel point il ne faisait pas bon être une femme même dans la bourgeoisie. Elle creuse, par l'intermédiaire de la figure de Charles, les théories en vogue autour de l'eugénisme (préludes à d'autres expérimentations à grande échelle quelques décennies plus tard) auxquelles Churchill et d'autres n'étaient pas insensibles et pour lesquelles ce type d'institution pouvait servir de terrain d'expérimentation en toute impunité.
Peut-être parce qu'elle est actrice, Anna Hope possède un sacré sens de la dramaturgie. La tension monte de façon subtile mais efficace au rythme où progressent les sentiments qui lient Ella et John. Elle nous emporte dans un puissant tourbillon où se mêlent l'amour et la peur, la beauté et l'envie, l'espoir et le drame. Elle nous offre deux héros inoubliables. On vibre, on s'enthousiasme, on tremble, on pleure. C'est magnifique !
"La salle de bal" - Anna Hope - Gallimard - 390 pages (traduit de l'anglais par Elodie Leplat)
Le très joli billet de Papillon devrait achever de vous convaincre, si besoin.