L'Embaumeur ou l'odieuse confession de Victor Renard - Isabelle Duquesnoy
"Tout siècle est porteur de son génie, d'un personnage hors du commun, fascinant ou répugnant, démon de l'architecture ou farfadet du flûtiau, dont l’œuvre appartient au monde une fois le titan refroidi. Une vie d'orgueil cachée derrière un masque ; tout n'est que composition, visant à étouffer la crainte de retomber dans l'oubli, puis en poussière. Nul génie n'échappe à l'insolence de la mort, et c'est bien ce qui le rend encore plus inventif : la peur."
Si vous avez aimé Le Parfum de Patrick Süskind, alors précipitez-vous sur cette odieuse confession. Vous verrez, Victor Renard n'a rien à envier à Jean-Baptiste Grenouille. Oh bien sûr nous avons là deux histoires très différentes mais les deux ouvrages se rejoignent sur de nombreux points : la reconstitution historique, des personnages hors normes et surtout... l'importance des odeurs. Tout bon ouvrage historique rappelle à bon escient que de nombreux siècles se sont succédé avant que les puanteurs ne soient éradiquées... qu'elles soient corporelles ou environnementales. A la fin du 18ème siècle, moment où se tient l'intrigue qui nous concerne, on fait encore ses besoins dans la rue, et les parfums dont on s'asperge ne cachent pas totalement les effluves de corps mal toilettés. Dans ce roman truculent et passionnant, aucune odeur, aucune puanteur ne nous est épargnée et nous avançons, captivés, sur les traces de pratiques méconnues.
Nous sommes aux alentours de 1795, dans une France post-révolutionnaire et Victor Renard fait face à ses juges du fond du cachot où il est tenu au secret. Comment est-il devenu l'homme le plus détesté de Paris ? C'est ce que nous découvrons au fur et à mesure qu'il déroule son histoire, et que l'on oscille entre fascination, révolte, pitié et écœurement. Affublé d'un torticolis dû à la position du cordon ombilical lors de sa naissance, cordon qui a étranglé son jumeau en passant, le pauvre Victor est l'objet de moqueries en tous genres à commencer par celles de ses propres parents. Disons qu'on ne souhaite à personne d'avoir pour mère Pâqueline Renard, sorte de mégère hurlante, sale et âpre au gain qui appelle son fils Victordu, le traite d'assassin et d'incapable et ne pense qu'au moyen de lui faire gagner de l'argent afin d'améliorer son ordinaire. Après de nombreuses péripéties, Victor devient l'assistant de l'embaumeur le plus réputé de Paris et découvre, en même temps qu'une certaine forme d'affection, tout un monde de pratiques commerciales autour de la mort... Il apprend vite, trouve une forme de respectabilité, accède même à l'amour, cet amour qui lui a tant manqué qu'il pourrait peut-être causer sa perte.
Franchement, il faut se laisser embarquer dans cette fresque presque inclassable qui ose le langage crû, nous plonge dans les secrets de certaines peintures et interroge notre rapport à la mort. On n'a pas tous les jours l'occasion de lire de tels romans, à la fois précis dans la documentation et la reconstitution et virtuoses dans la narration et l'évocation. Une expérience à la fois troublante, divertissante et fascinante.
"L'Embaumeur ou l'odieuse confession de Victor Renard" - Isabelle Duquesnoy - Editions La Martinière - 528 pages
C'est le billet de Séverine qui m'avait donné envie de découvrir ce roman.