L'invitation - Elizabeth Day
Les romancières britanniques sont décidément redoutables et c'est pour moi un immense plaisir d'en découvrir une nouvelle dont je n'avais jusque-là jamais entendu parler. Il faut dire que L'invitation est seulement son deuxième roman traduit en français (son quatrième en v.o.). On compare la dame à Patricia Highsmith, il y a pire référence. Quoiqu'il en soit, c'est encore une chronique de Josyane Savigneau dans le magazine Lire qui a attiré mon attention et, encore une fois, je n'ai pas été déçue. Je me suis même délectée avec une certaine gourmandise de cette ambiance britannique si particulière, du savoir-faire de la dame pour faire monter la tension et de la férocité très typique qui régit les relations entre les différentes classes sociales de la perfide Albion.
Ça commence dans une salle d'interrogatoire. Martin Gilmour est cuisiné par un tandem de policiers qui cherche vraisemblablement à établir ce qui s'est passé lors d'une soirée organisée quelques semaines plus tôt dans la somptueuse résidence des Fitzmaurice. Martin est un critique d'art plutôt réputé, auteur d'un livre à succès, invité parmi des centaines à la fête donnée en l'honneur des quarante ans de son ami Ben. On comprend rapidement qu'une personne est à l'hôpital, sans plus de détails sur son état mais enfin, s'il y a enquête de police, ça doit être sérieux. Nous suivons l'interrogatoire dans la tête de Martin, c'est lui le narrateur et c'est lui qui semble tirer les ficelles face aux deux inspecteurs. Par contre, le lecteur, lui va avoir droit à la reconstitution complète des événements. Mais pour cela, il faut remonter à la genèse, à l'enfance de Martin puis à sa rencontre avec Ben Fitzmaurice au lycée. Ben issu de la bonne société comme la plupart de ses condisciples, beau, élégant et toujours à l'aise tandis que Martin ne possède aucun des codes qui régissent les rapports dans ce genre de pensionnat. Qu'importe, ébloui par Ben, il décide qu'il sera son ami et entreprend sa conquête...
Pour contrebalancer l'histoire racontée par Martin, le lecteur se voit offrir la version de sa femme, Lucy, par l'intermédiaire de cahiers dont elle a noirci les pages comme une thérapie. Lucy, observatrice de la relation ambigüe entre Ben et Martin ; Lucy réduite également à envier la famille idéale de Ben, sa splendide et hautaine femme Serena et leurs quatre enfants. Leur réussite insolente. Les récits de Martin et de Lucy alternent et le lecteur voit s'enchaîner sous ses yeux tous les ingrédients qui vont conduire au drame.
La réussite de ce livre tient à la férocité des rapports sociaux qui sont ici terriblement bien mis en scène. La lutte des classes n'est pas un vain mot, les inégalités sociales sont marquées dès le plus jeune âge et les collèges anglais sont des endroits particulièrement cruels, souvent exploités par les romanciers. Tout est ici dans la psychologie des personnages, dans les non-dits et l'hypocrisie qui se cachent si bien derrière le réputé flegme britannique. Le lecteur avance pas à pas dans les récits de Martin et Lucy et ramasse les petits cailloux qui conduisent jusqu'à cette fameuse soirée...
"Les riches font mieux la fête que nous autres. Ce n'est pas seulement l'argent ou l'assouvissement du moindre caprice, ni même les alcools et une nourriture de choix. C'est une qualité impalpable de l'atmosphère, l'excitation dans l'air. Le luxe nous électrise, plébéiens que nous sommes. Nous n'avons aucune envie de le reconnaitre, mais c'est bel et bien le cas. Nous sommes jaloux, oui. En notre for intérieur, nous sommes outrés par la prodigalité excessive, absurde, narcissique d'une fête comme celle du quarantième anniversaire de Ben Fitzmaurice. Mais l'argent a un pouvoir narcotique. Il vous fait planer. Oublier vos appréhensions. Vous vous sentez privilégié d'être là, vous êtes invité parce que vous êtes exceptionnel, comme si un minuscule fragment de feuille d'or d'une gigantesque statue tombait sur vous, et vous vous persuadez que vous faites partie de ce monde. Que pour une nuit, indubitablement, vous êtes un des leurs."
C'est rondement mené, hyper efficace, terriblement britannique. Une typologie de romans que j'affectionne particulièrement, et dont je ne suis pas près de me lasser.
"L'invitation (The Party)" - Elizabeth Day - Belfond - 332 pages (traduit de l'anglais par Maxime Berrée)