On se souvient du nom des assassins - Dominique Maisons
Dans la catégorie polars, j'ai un petit faible pour le genre historique. Alors la perspective d'une plongée dans le début du 20ème siècle aux côtés d'un enquêteur écrivain feuilletoniste de son métier ne pouvait que me réjouir. Direction Paris en 1909, ses embouteillages, ses crieurs de journaux, ses faits divers, ses demi-mondaines, ses affrontements politiques et son bouillonnement culturel.
C'était l'époque où les quotidiens tiraient à plus d'un million d'exemplaires et où les directeurs de journaux s'arrachaient les meilleurs écrivains pour produire les feuilletons qui tenaient chaque jour leurs lecteurs en haleine à coup de rebondissements aussi spectaculaires qu'improbables. Et justement, Max Rochefort est l'un des meilleurs de sa catégorie. Les aventures de son héros, le commissaire Nocturnax font la richesse du quotidien Le matin et de l'éditeur Arthème Fayard qui les publie ensuite en volumes. Derrière ce succès se cache une véritable entreprise dont Max est le cerveau créatif qui emploie plusieurs collaborateurs au sein d'un atelier d'écriture extrêmement productif. Le jeune Giovanni Riva, employé au Matin est chargé par sa direction d'assurer les fonctions de secrétaire particulier auprès de Rochefort ; il s'agit surtout de le surveiller afin qu'il ne cède pas aux sirènes de la concurrence. C'est ainsi que Giovanni se retrouve embarqué dans une enquête aux côtés de Max lorsqu'ils sont tous les deux en présence d'une crime monstrueux. Un cardinal est retrouvé affreusement mutilé dans une chambre d'hôtel à Enghien où ils séjournaient également. Une jeune femme de chambre est accusée du meurtre, ce que Giovanni, charmé par Justine se refuse à croire. Max Rochefort, lui, ne peut s'empêcher de pointer les incohérences qui semblent échapper à la police.
En 1909, cela fait à peine quatre ans que la fameuse loi instaurant la séparation des pouvoirs de l'Eglise et de l'Etat a été promulguée et les relations avec les instances religieuses sont quelque peu tendues... On imagine bien les répercussions qu'un tel crime peut avoir sur les relations diplomatiques de la France. A partir de là, l'auteur joue très bien avec les codes du feuilleton policier pour élaborer un scénario qui n'a rien à envier aux meilleurs auteurs de l'époque. Une poursuite en dirigeable, la mystérieuse demeure d'un richissime homme d'affaires, les sous-sols de l'Opéra... rien à dire, les décors sont soignés. Tout comme l'opposition de styles de vie entre Rochefort, le dandy insolent et Giovanni, le fils d'immigrés italiens qui a surtout connu la misère. On croise Gaston Leroux et Guillaume Apollinaire et l'ombre du Marquis de Sade plane sur l'intrigue. Franchement, un amoureux des lettres ne boudera pas son plaisir.
Un polar vraiment aussi intéressant que divertissant même s'il ne possède pas la gouaille de la série des Victor Legris de Claude Izner, ni la fantaisie du roman virevoltant de Paul Vacca, Au jour le jour qui revisitait lui aussi cette riche période des feuilletonistes au 19ème siècle.
"On se souvient du nom des assassins" - Dominique Maisons - Points (La Martinière) - 498 pages