Comme à la guerre - Julien Blanc-Gras
"Je méditais sur l'utilité de l'auteur en l'an 12 après Zuckerberg dans un TGV qui me ramenait d'Albertville à 307 km/h. A quoi je sers ? Apparemment ma fonction dans la société, c'est étrange, consiste à raconter ma vie et celles des autres pour faire résonner une corde chez celui qui veut bien me lire. Voilà mon unique compétence, filtrer le réel et poser des mots dessus. Ce n'était pas grand-chose, c'était déjà ça".
Oui, forcément, quand on devient père en 2015, dans un contexte post-attentats, ce ne sont pas les questions qui manquent. Quand on est de surcroit habitué à arpenter le monde, à l'observer et à le raconter, ce questionnement se nourrit de multiples dimensions. Et c'est ce qui m'a incitée à lire ce récit, après avoir écouté Julien Blanc-Gras en parler lors de la présentation de la rentrée Stock. Un récit dans lequel l'auteur observe l'éveil progressif de son fils, dans un monde que l'on dit "en guerre". Lui qui avoue avoir longtemps hésité à se reproduire (vu l'état du monde), hésitations qui furent à l'origine d'un précédent récit "In utero" (que je n'ai pas lu).
Mettre un enfant au monde de nos jours veut-il dire le condamner à la guerre ? Et puis ce mot n'est-il pas trop fort pour qualifier une situation certes préoccupante (attentats à répétition, climat de violence...) mais assez éloignée de ce que connaissent les pays confrontés à un vrai conflit depuis des années ? Au même moment, l'auteur s'est vu confier par l'un de ses grands-pères le carnet qu'il a tenu pendant la seconde guerre mondiale, d'abord au front puis en captivité. On le voit, le sujet de la transmission est au cœur de ce texte qui confronte les expériences et les observations pour tenter de mettre la suite de l'histoire sur de bons rails.
J'ai apprécié l'équilibre de ce récit qui veille à rester du côté de l'optimisme sans céder à la naïveté ; nul doute que l'ouverture sur le monde qui est le quotidien de l'auteur l'aide à analyser, à réfléchir et à garder la tête froide. Capable de s'émerveiller devant chaque progrès du petit être qui évolue quotidiennement, capable de choisir d'être heureux comme la dernière des politesses face aux nuages et aux menaces qui auraient vite fait d'engloutir les plus optimistes d'entre nous. Il y a dans le regard du père sur son enfant, une interrogation sur l'éducation et la transmission, ce qui façonne un individu dès son plus jeune âge, ce qui conduit - par de multiples différences, accidents - un être à réagir d'une façon ou d'une autre face à l'adversité, aux provocations, aux situations de conflit. Il y a aussi, dans la confrontation avec le passé et l'expérience de son grand-père, une sorte de justification à continuer la chaîne que ces hommes, qui ont connu la guerre, n'ont pas rompue.
Je vous rassure, on sourit beaucoup au fil de ces pages plutôt tendres grâce aux qualités d'observateur de l'auteur et à sa capacité à se moquer gentiment de lui-même. Mais on glane aussi quelque matière à réflexion, ce qui n'est jamais du temps perdu. La lecture est agréable, l'impression finale est légère malgré les sujets abordés. Du coup, l'empreinte laissée ne sera sûrement pas très forte, ni très marquante. Mais on ne peut pas tout avoir.
"C'est le pouvoir du langage et de l'imagination qui nous maintient en haut de la chaine alimentaire. Nous sommes liés par les dieux, les Etats, les lois, l'argent : autant de concepts sans réalité matérielle. Ils n'existent que parce que nous choisissons d'y adhérer collectivement. Notre efficacité collaborative s'explique par notre capacité à produire de la fiction. Pour survivre, et se grandir, il faut savoir raconter des histoires. Perspective rassurante quand on est écrivain".
"Comme à la guerre" - Julien Blanc-Gras - Stock - 284 pages