L'appel - Fanny Wallendorf
J'ai toujours trouvé passionnant de se pencher sur la source des inventions, quel que soit le domaine (celui qui a eu l'idée pour la première fois de battre des blancs en neige... j'aimerais qu'on m'en raconte l'histoire) et quand ce questionnement rejoint ma passion pour le sport, mon attention est tout acquise.
Fanny Wallendorf propose avec ce roman une exploration fictive de la vie de Dick Fosbury, à l'origine du saut qui porte son nom et que tous ceux qui ont fait de l'athlétisme au collège ces quarante dernières années ont forcément tenté de réaliser une fois dans leur vie. D'où est né ce saut ? Quel instinct a donc poussé ce gamin qui stagnait à 1,62 avec le saut en ciseaux, la norme en vigueur partout à l'époque, à se tourner pour attaquer la barre avec l'épaule, l'enrouler avec le dos et à terminer en roulade ?
L'auteure se glisse ainsi dans la peau de Richard, adolescent typique d'une famille de la classe moyenne américaine et s'attache à nous faire partager ses sensations, la façon dont il appréhende le sport, les états de transe dans lesquels le plongent parfois ses séances d'entrainement. Les sensations sont motrices, ce sont elles qui guident son parcours, qui le font avancer malgré les moqueries et ricanements devant ce saut non homologué, la rigidité du système fédéral qui tente de lui imposer la norme à tout prix.
On se passionne sans peine pour cet adolescent ordinaire qui ne sait pas alors et ne s'en préoccupe pas d'ailleurs, qu'il marquera son sport de son empreinte, défiant tous les pronostics de la plupart de ses entraineurs. Pas seulement en battant le record du monde, pas seulement en gagnant des médailles olympiques mais en donnant son nom au saut qu'il invente et que tous les athlètes ont adopté depuis.
"Richard perfectionne ses foulées, et en poursuivant sa route, il comprend soudain que ce qu'il trouve dans la course, ce qu'il rejoint, c'est le silence, un silence unique et impartageable, le silence du sport, qui l'isole sans peine de tout ce qui l'entoure, un silence jouissif qui règne en maître avant de le déserter brutalement".
Un vrai champion est forcément hors normes. Il sort du cadre, simplement parce qu'il ne peut faire autrement, c'est quelque chose de vital. C'est ce que nous donne à ressentir l'auteure, de façon très fine, très juste, sur une base très documentée qui plante le décor du système universitaire américain par lequel passe la politique sportive du pays. Elle nous dépeint un personnage attachant, fait d'humilité et de passion, centré sur la quête du geste parfait durant ses heures d'entrainement, mais pas seulement. Richard vit son saut en permanence, à l'écoute des moindres signaux que lui envoie son corps, analysant sans cesse les données de sa course d'appel, de son impulsion, de sa roulade de fin. Il fait corps avec les éléments, avec la moindre parcelle de l'air qui l'entoure. Il avance, tendu vers son objectif, pas encore en tant que compétiteur car il est autant un esthète qu'un athlète. Sinon, comment expliquer l'invention de ce saut qui donne l'impression de voler, de surfer sur la barre avec une élégance qu'aucun saut en ciseaux ne pourra jamais égaler. Et dans le regard de l'auteure, beaucoup d'admiration et d'envie de tutoyer le secret de la grâce.
Car c'est bien de grâce dont il s'agit. Fanny Wallendorf n'impose rien, fait la part belle à l'imagination et au rêve, veut croire à la force d'une vocation qui s'exprime en douceur, avec conviction, respect, un poil de naïveté. Elle parvient à toucher à la vérité du geste sportif dans sa pureté originelle. Et ça, c'est tout simplement remarquable.
En refermant ce premier roman enthousiasmant, on a plus qu'envie de croire à cette injonction de René Char : “Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s'habitueront.”
"L'appel" - Fanny Wallendorf - Finitude - 346 pages