Quand la ville tombe - Didier Castino
On peut trouver des tas de choses dans un livre. Quelques heures d'oubli, des questions, des réponses, de l'évasion ou de l'écho. De la légèreté ou de la profondeur. Et puis, on peut ouvrir un livre comme celui-ci et s'embarquer pour une introspection en trois dimensions grâce au regard particulier de Didier Castino qui parvient à distinguer l'individu de la multitude tout en l'y rattachant par tous les pores. C'est une alchimie rare, un subtil équilibre qu'il prend le temps d'installer et de distiller, et qui résonne longtemps après que l'on a quitté Hervé, Blanche et leurs enfants. Un regard clair posé sur le monde et sur les êtres qui s'y débattent.
Hervé et Blanche se sont rencontrés à la fac, s'aiment depuis leurs premières virées en 4L, partagent le goût de la littérature et de l'engagement. Ils vivent à Marseille avec leurs trois enfants, elle enseigne, il traduit et ils emmènent leur progéniture à peu près partout, y compris aux manifestations. Une entité, un ilot, une petite communauté à eux cinq. Autour d'eux, le monde est en guerre. Une guerre perpétuelle qui prend plusieurs formes, lointaine ou en bas de leur domicile. Une menace, une de plus contre laquelle la famille s'apprête à manifester. C'est alors que le drame survient. Blanche se trouve au mauvais endroit au mauvais moment et meurt dans un terrible accident, l'effondrement d'un balcon. Commence pour Hervé l'épreuve intime du deuil et de l'absence qui vient chambouler sa vision du monde, l'amène d'abord à se replier sur lui-même et son chagrin avant d'enrichir sa réflexion de l'empreinte de l'être aimé.
La réussite de ce roman c'est de parvenir à nous faire ressentir la complexité de la place de l'individu pris entre ses drames intimes et la violence du monde, sans pour autant tomber dans la facilité de la relativité. La construction y contribue grandement, d'abord par le climat instillé dans une première partie qui fait souffler la menace d'un monde en crise (j'ai eu l'impression de retrouver exactement mes sensations au moment de la guerre du Golfe en 1991), et par une toile de fond où l'on reconnait nombre de problèmes ou drames actuels (scandale du mal logement et des immeubles vétustes, conflits, migrants...). Ensuite par la très belle description de la relation de ce couple, de tout ce qui les constitue, les (ré)unit et décuple d'autant la sensation de perte. Il y a une justesse terrible, douloureuse et en même temps magnifique dans ce récit. Une beauté tragique dans le parcours de deuil d'Hervé qui s'appuie sur les traces laissées par Blanche, qui met ses pas dans ceux de sa femme pour mieux se trouver. Continuer malgré tout, continuer sans nier, continuer plus que tout. Et retrouver la conscience du monde, l'envie de se battre pour d'autres autant que pour soi-même. Vivre.
Poignant et lumineux.
"Quand la ville tombe" - Didier Castino - Les Avrils - 252 pages
Et l'avis de Delphine publié presque en même temps que le mien.