L'Aube naît du chant des oiseaux - Charlotte Sagorin Colet
Tu as mis du temps à accepter de poser tes yeux sur des mots susceptibles de faire écho à ton expérience, et la rencontre ne s'est pas toujours produite. Mais en ouvrant ce livre, tu as comme un pressentiment, peut-être parce que son esthétisme te touche déjà. Tu es sensible à ce jaune soleil, tout le contraire du noir, à l'harmonie des couleurs, à cette couverture qui respire le beau. Choisir la lumière pour parler du deuil, tu t'y glisse en confiance. Et tu te laisses envelopper par les mots de cette femme qui dit sans fard mais avec finesse, pudeur et délicatesse. Tu sais que ces sensations ne peuvent être partagées que par celles et ceux qui sont passés par des épreuves similaires, certaines scènes refont surgir ce qui était toujours tapi au plus profond de ton ventre, juste en sommeil, mais qui ne pourra jamais disparaître complètement. Le lien qui se tisse entre ce texte et toi est viscéral. Il devient ami, frère, de la même façon que le raconte Charlotte Sagorin Colet de sa rencontre avec le livre de Joyce Carol Oates ; par une subtile alchimie qui mêle connaissance partagée et capacité à transformer les mots en courroie de transmission des sensations les plus indicibles. Faire l'expérience du deuil, c'est entrer dans l'inconnu, un royaume où le paradoxe est roi, difficilement accessible aux autres malgré toute leur compassion, leur amitié et leur volonté de bien faire. Un drôle d'endroit où la vie et la mort se côtoient et s'emmêlent, s'attirent, se parlent. Sous la plume de l'auteure, ce paradoxe prend corps, se déploie dans toute sa folie faite de douleur et d'incapacité à renoncer face à l'impérieuse nécessité d'avancer. Les maux affleurent, les mots tracent un chemin sinueux vers l'acceptation de l'esprit comme du corps, à leur rythme. Une lente transformation qui s'appuie sur le beau, l'amour commun pour l'art et la conscience que ce qui a été partagé demeurera inscrit dans sa chair. Tu lis cette phrase "Je ne fais pas mon deuil : c'est mon deuil qui me fait" et tu frissonnes, tu souris, tu voudrais remercier l'auteure de tomber si juste. Tu arrives à la fin, un peu à regret, tu aurais bien prolongé cette connivence, mais tu y reviendras, tu le sais. Ton œil cherche l'auteur du superbe tableau qui illustre le bandeau de Une, et ton cœur se serre d'émotion lorsque tu découvres son nom, Laurent Colet, et que tu réalises à quel point les deux œuvres se répondent, l'une enserrant l'autre, à jamais réunies. A défaut de sauver le monde, le beau peut au moins guérir les âmes et apaiser les corps. Merci d'y contribuer.
"J'observe la nature. Même elle parle de moi. En forêt, je me compare à ces arbres sans feuilles, amincis par l'absence de leur sève. Leurs branches dénudées érigées vers le ciel, ils demeurent debout. Leur invincibilité semble inutile dans ce silence gelé. Comme eux, j'existe à bas bruit. Ce n'est pas le sentiment d'existence qui fait défaut. C'est son utilité. La survivance me fait croire à une invincibilité inutile qui s’égrène au fil des jours. Si je survis à ça, de quoi vais-je bien pouvoir mourir ?"
"L'Aube naît du chant des oiseaux" - Charlotte Sagorin Colet - Calmann-Levy - 214 pages