Les partisans - Kessel et Druon, une histoire de famille - Dominique Bona
Kessel et Druon. Que de mots et d'aventures viennent à l'esprit à l'évocation de ces deux noms. Kessel le journaliste aventurier, l'écrivain prolixe qui trempe sa plume dans la chair et l'éclat des personnages qui l'inspirent. Druon, l'auteur des Rois maudits... Je suis venue aux romans de Kessel après la lecture de sa biographie par Yves Courrière, une somme de 1200 pages à peine suffisantes pour couvrir la surface et l'envergure du personnage ; de Druon par contre je n'ai lu (et adoré) que Les rois maudits et connaissais peu de choses de sa vie. Dominique Bona les réunit ici comme ils le furent presque tout au long de leur existence puisque Maurice Druon était le fils naturel de Lazare Kessel, frère de Joseph, qui se suicida assez jeune. C'est bien sûr l'écriture qui rapproche les deux hommes, l'admiration du cadet pour son aîné de vingt ans ainsi que leur parcours commun pendant la seconde guerre mondiale et ce fameux Chant des partisans dont ils signeront les paroles.
C'est d'ailleurs en 1942 que l'autrice choisit d'ouvrir son récit, alors que trois individus sont en route vers l'Espagne puis le Portugal d'où ils comptent rejoindre Londres. Druon, Kessel et Germaine Sablon sa maîtresse, ou plutôt l'une de ses maîtresses car du côté de la situation sentimentale de Kessel c'est compliqué. La jeune femme est une chanteuse à succès, moins que son célèbre frère Jean qui vit en Amérique mais aussi très engagée dans la Résistance. Elle sera la première à interpréter le Chant des partisans (on peut écouter sa version sur YouTube) dont l'origine est un chant russe importé par Anna Marly, traduit et adapté par ses deux compagnons pendant leur séjour à Londres. A partir de ce carrefour, le destin de Germaine Sablon va se dissocier de celui des deux hommes à la trajectoire ascendante. L'après-guerre est plus compliqué pour elle qui peine à reprendre le cours normal de sa vie mais dont le parcours n'est pas moins singulier et aurait mérité d'associer son nom au titre de ce livre.
Nous suivons Kessel et Druon dans une construction qui multiplie les comparaisons entre deux êtres dotés d'un même appétit de vivre mais qui l'assouvissent de façon très différente. Kessel est une sorte d'ogre au tempérament de feu, avide des plaisirs de la chère et de la chair, marqué par ses origines russes et nourri par sa curiosité à l'égard du monde et des individus qui le peuplent. Druon est un esthète, amateur de raffinements et en quête d'élégance autant que d'honneurs (il sera ministre). La plume de Kessel fait exploser les ventes de France Soir avant de ravir les amateurs de romans d'aventures tandis que Maurice Druon, prix Goncourt 1948 pour Les grandes familles fera figure de précurseur en montant un atelier d'auteurs chargés de l'écriture des Rois maudits, ce que Philippe Lançon avait déjà raconté dans un bel article de Libération à l'été 2022. Style, amours, ambitions, amitiés, appétits, caractères... Tout les oppose et tout les rapproche. Ils seront tous deux reçus à l'Académie Française mais n'en tireront pas le même satisfaction. Question d'égo...
Si l'on ne connaît pas grand-chose à ces deux monstres ou à la période, l'occasion est belle de faire connaissance et de croiser nombre d'individus qui ont compté au cours des 70 dernières années. Dominique Bona est une vraie conteuse, ses sujets sont captivants et l'ensemble se dévore avec plaisir. Sinon, on pourra trouver les 500 pages trop étroites (si Courrière a eu besoin de 1200 pages pour Kessel il y a une raison) et regretter que le trio du début soit peu à peu dilué dans un récit biographique plus classique au risque de survoler et de perdre l'idée phare prétexte à ce livre. La matière est tellement riche et foisonnante qu'elle est sans doute aussi compliquée à ordonner que la tignasse de Kessel. L'autrice a d'ailleurs une nette préférence pour la personnalité de ce dernier et ça se sent (il faut dire que le portrait de Druon plus âgé n'est pas très sympathique et pas seulement à cause de ses bonnes relations avec Poutine) et s'est elle-même abreuvée chez Courrière. Résultat : j'ai eu très envie de lire du Kessel et enchaîné avec trois tomes du Tour du malheur (publié en 1950). Je ne suis pas contre ce genre d'effets secondaires.
"Les partisans" - Kessel et Druon, une histoire de famille - Dominique Bona - Gallimard - 526 pages