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La maison de jeu - Charles Roux

4 Avril 2024 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans

Je peux te tutoyer, Antoine, hein. Malgré ce "vous" qui interpelle, accuse, englobe, c'est quand même toi qui t'exhibes tout au long de ces 160 pages pleines de rage contenue. Ton créateur ne t'épargne pas, Antoine, il a beau y mettre les formes, polir sa phrase, faire claquer la langue, les baffes c'est toi qui les prends. Et accessoirement le lecteur. Voilà pourquoi je tiens au "tu", je ne veux rien avoir affaire avec tes addictions, Antoine. Cet étalage de stupre, ces orgies en tous genres, ces successions d'excès obscènes, de péchés - n'hésitons pas à mêler le religieux à tout ça, à chacun sa part - c'est de ta faute, Antoine. Tu peux invoquer les tentations trop présentes, les incitations permanentes, les injonctions d'une société tournée vers le toujours plus... Et ton libre-arbitre, Antoine ? Tu en fais quoi de ton libre-arbitre ? Ton créateur ne fait que constater, Antoine. Tu es faible. Tu te crois fort, au point de confier ton destin à une paire de dés. Tu te crois malin, Antoine. Tu te mets sur ton 31, tu te gaves, tu te vautres, tu gaspilles, tu mises sur les paradis artificiels pour oublier que plus rien n'a de sens. Mais tu es un exutoire, Antoine, pour celui qui joue avec toi comme tu joues avec le feu. Tu es un concentré des excès et des tares qui transforment l'humanité en un gigantesque bordel ; tu le sais pourtant, Antoine, quand on dépasse un certain seuil, c'est mort. Plus de limites. Tu croyais que l'argent, la possession t'apporteraient... mais quoi au juste ? Le bonheur ? La sécurité ? Tu t'es bien trompé, Antoine. La satiété n'est qu'une chimère qui pousse à l'addiction. Tu as continué à jouer. Encore. Toujours plus loin. Ton créateur te rit au nez, Antoine. Il te noie, te gave, t'affame, te saoule, te tue, te ressuscite, il expose ta vacuité et ton ridicule aux yeux du monde. Il est obsédé par les monstres, ton créateur, tu n'es qu'un prétexte pour tendre un miroir au lecteur, à lui de savoir regarder le monstre en face. Je te plains, Antoine. Je plains tous les Antoine du monde et je plains notre pauvre monde qui se meurt de trop d'Antoine.

"La maison de jeu" - Charles Roux - Rivages - 170 pages

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B
Superbe ! Je trouve ta chronique magistrale. Elle souligne et met en exergue tellement ce que j'ai ressenti aussi dans ma lecture. C'est malaisant, c'est éprouvant mais au final, s'interrogera-t-on ? Nous identifierons-nous à Antoine ? <br /> On est tous des Antoine... certains agissent, d'autres subissent. Et si on se prenait tous en main pour changer les choses avant que le monstre ne soit partout ?
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N
Merci Benoît :-) Le malaise est très présent tout au long de la lecture, au risque d'occulter le travail d'écriture... J'ai dû le lire une deuxième fois pour ne pas me laisser polluer par la crudité de certaines scènes, par l'outrance... Intéressant même si je n'en ferais pas mon quotidien.