La douleur porte un costume de plumes - Max Porter
Sachez qu'en ouvrant ce livre vous serez face à l'inconnu. La forme, la structure, les ressorts, tout est neuf, inédit. Roman, conte, poème... on ne sait pas vraiment à quoi on a affaire, même après l'avoir terminé. Une seule chose est sûre : c'est bouleversant.
Il était une fois un père et ses deux garçons anéantis par le décès brutal de la maman. Un soir, un corbeau frappe à leur porte et décide de s'installer chez eux afin de les aider à passer ce cap difficile... Réalité ou chimère ? Qu'importe si cela peut permettre de se réinstaller dans la vie. On dit que le corbeau est oiseau de malheur, qu'il inspire aussi les poètes. Quelques heures après avoir refermé ce livre, je suis tombée sur une brève dans Le Point faisant état des résultats d'une étude menée par des chercheurs sur les corvidés ; on leur reconnaît une intelligence proche de celle des grands singes malgré un cerveau cent fois plus petit. Ils pensent avec logique, se reconnaissent dans une glace et sont doués d'empathie... Ici, la compagnie de Corbeau offre à chacun des endeuillés l'opportunité d'extérioriser la douleur, même si cela doit être par la violence des gestes ou de la parole.
"Il y a un aller-retour constant et fascinant entre le naturel de Corbeau et son côté civilisé, entre le charognard et le philosophe, la déesse de l'être entier et la tache noire, entre Corbeau et son être-oiseau. Il me semble que c'est le même aller-retour qu'entre le deuil et la vie, avant et aujourd'hui. J'ai beaucoup à apprendre de lui."
En explorant alternativement les pensées du père, des garçons et de Corbeau, Max Porter donne vie à la douleur, au manque, aux regrets, au déni ou à la colère. Il le fait avec des mots parfaitement choisis, une sincérité heurtée et beaucoup de justesse même dans l'expression la plus crue du malheur. Et il parvient à rendre chacun des cheminements parfaitement reconnaissables, celui du veuf et ceux des deux orphelins qui tâtonnent en parallèle, souffrent, tombent mais se relèvent. Jusqu'à ce que la lumière, enfin, se faufile de nouveau devant leurs paupières.
Ce petit livre, on a immédiatement envie de le relire et puis de le garder à proximité histoire d'aller y puiser quelques mots de temps en temps. Car il dit aussi le pouvoir de l'imaginaire et des mots dans le processus de guérison. Et ça, c'est juste essentiel.
"La douleur porte un costume de plumes" - Max Porter - Seuil - 122 pages (Traduit de l'anglais par Charles Recoursé)
Noukette a été séduite aussi.