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L'insouciance - Karine Tuil

18 Août 2016 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans, #Coups de coeur

L'insouciance - Karine Tuil

Oh que cette rentrée littéraire commence bien ! J'attendais ce livre avec impatience tant le précédent L'invention de nos vies m'avait impressionnée, annonçant un tournant passionnant dans l'écriture de Karine Tuil. Nous y voilà donc, trois ans plus tard, et le résultat est époustouflant. Une puissance narrative qui vous happe dès les premières pages pour ne plus vous lâcher, une tension parfaitement maîtrisée du début à la fin et surtout, un récit tellement ancré dans le 21ème siècle qu'il risque d'en devenir un témoignage de référence pour les générations à venir.

"J'écris parce que la vie est incompréhensible", dit Marion Decker, l'un des quatre personnages principaux du roman. Le moins que l'on puisse dire c'est que Karine Tuil nous la rend compréhensible, la vie. Elle nous brosse un tableau à la fois juste, sans concession et terriblement lucide de notre société en se faufilant dans les arcanes du pouvoir, au plus près de ceux qui prennent les décisions. Une société où l'image prédomine, où la communication est reine, où le pouvoir se gagne et se perd en un rien de temps sur le terrain médiatique, où les apparences comptent plus que le mérite. Mondialisation, géopolitique, jeux de pouvoir... Ses héros n'ont pas forcément toutes les cartes de leur destin en mains.

Mais L'insouciance ne serait pas un livre de Karine Tuil si la question de l'identité n'était pas au centre. Chacun des personnages a son problème d'identité, d'appartenance et c'est une source de vulnérabilité. François Vély, le puissant patron du CAC 40 à qui tout semble réussir se voit soudain ramené à ses origines juives, lui qui les a toujours volontairement ignorées. Osman Diboula, le fils d'immigrés parvenu à se hisser dans les coulisses du pouvoir en tant que conseiller à l’Élysée s'aperçoit qu'il a peut-être servi de caution "diversité" dans un milieu qui le renvoie sans cesse à ses origines. Romain Roller, le militaire engagé sur les théâtres d'opérations les plus dangereux, se demande, de retour d'Afghanistan, à qui profitent ces guerres et si elles valent les sacrifices humains qu'elles induisent. Quant à Marion Decker, journaliste-écrivain, dont le mariage avec François Vély est assombri par un terrible drame, elle peine à trouver sa place dans un monde auquel ses origines sociales ne l'ont pas préparée et qu'elle cherche à comprendre. Origines ethniques, origines sociales, culture, éducation, appartenances religieuses... pas facile de se forger sa propre identité quand tout nous renvoie à ce que nous sommes censé être.

"Il y a quelque chose de très malsain qui est en train de se produire dans notre société, tout est vu à travers le prisme identitaire. On est assigné à ses origines, quoi qu'on fasse. Essaye de sortir de ce schéma-là et on dira de toi que tu renies ce que tu es ; assume-le et on te reprochera ta grégarité."

La violence est partout, sur les terrains de guerre, bien sûr (quelles pages sur la condition de militaire, sur les réalités du terrain... !) mais surtout dans les rapports sociaux qui régissent le quotidien. Dans les relations intimes comme dans les relations professionnelles. Dans le lynchage médiatique qui peut jaillir d'une simple étincelle. C'est ce que l'auteure nous montre de façon magistrale en démontant les mécanismes qui mènent aux pires excès. Et en nous rappelant que l'on n'échappe pas à ses origines, à son histoire.

La société que nous dépeint Karine Tuil, c'est la nôtre. Complexe, violente, hypocrite, clanique. Derrière les façades qui abritent les lieux de pouvoir, par-delà les discours qui prônent l'intégration et la tolérance, la réalité est toute autre. De quoi donner à réfléchir.

Mais je vous rassure, L'insouciance est un vrai page turner qui puise sa force dans un contexte très documenté et captive par sa structure narrative et ses personnages taillés à la serpe. L'auteure tisse une toile d'une incroyable densité, mêlant histoire d'amour et drame social, contexte politique et destins individuels. On plonge dans ce roman avec un plaisir croissant au fil des pages, on vibre, on se révolte, on s'attache aussi... On veut croire que François Vély est dans le vrai lorsqu'il affirme "J'ai toujours cru en la capacité de l'homme à inventer sa vie, je ne fais pas partie de ceux qui pensent que tout est figé, imposé". Tout en sachant que ce n'est pas gagné.

Un grand roman, c'est souvent celui qui, à travers le prisme romanesque permet de mieux voir le monde et de le questionner. Un grand roman c'est celui qui vous happe, vous tient en apnée, vous fait lever plus tôt pour retrouver plus vite les personnages quittés à regret la veille. Et vous marque, durablement. Pas de doute, L'insouciance est un grand roman.

"L'insouciance" - Karine Tuil - Gallimard - 528 pages

Une lecture partagée avec bonheur avec Delphine, aussi bluffée que moi.

L'insouciance - Karine Tuil

Et en bonus, ce sympathique article paru dans M, le magazine du Monde le 12 août...

où l'on apprend quelques secrets de fabrication de Karine Tuil et où l'on comprend mieux le fantastique travail d'influence et de documentation de la romancière.

Un joli cadeau.

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M
Je confirme...je suis plongée dans cette histoire actuelle et haletante de Karine TUIL et c'est passionnant et tellement ancrée dans notre société. J'avais déjà beaucoup aimé L'invention de nos vies, ce dernier opus me happe de façon encore plus prégnante !!Hâte de le finir mais ma prochaine lecture risque de paraitre bien fade après un tel roman ! MYMY des http://cousineslectures.canalblog.com/
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N
J'ai également hâte de la rencontrer, le 25/09 à la librairie Le Divan ! C'est amusant, Les vies de papier sont sur le haut de ma pile (chaudement recommandé par ma meilleure amie qui vit aux Etats Unis et l'a déjà lu en anglais...). On en reparlera alors :-)
M
Voilà livre L'insouciance terminé et beaucoup beaucoup aimé....Hâte de rencontrer l'auteur le 27.09 à la LIBRAIRIE LAMARTINE !Bien noté pour Luc Lang, Au commencement du septième jour ,il va falloir que je me le procure...En attendant j'ai entamé Les vies de papier de Rabih Alameddine qui semble prometteur et pour lequel de très bons avis ont été émis.Bonne lecture MYMY
N
Ah merci pour ce témoignage "live" ! Ceux qui ont aimé le précédent (comme nous) sont effectivement assez unanimes sur celui-ci, encore plus fort. Pour éviter la fadeur ensuite, j'ai ce qu'il vous faut : Luc Lang, Au commencement du septième jour ;-)
N
Encore jamais lu cette auteure mais vous êtes tous unanimes !
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N
C'est une excellente occasion de la découvrir !
V
J'avais été déçue par le précédent, je ne vais donc pas m'aventurer sur ce chemin là. Mais pour l'instant, les avis que je lis vont tous dans le même sens.
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N
Il reprend effectivement des thèmes du précédent même si celui-ci prend une tout autre dimension... Je comprends tout à fait que l'on puisse s'en sentir éloigné même si j'ai très envie de le défendre. L'offre littéraire de la rentrée est si riche, pourquoi s'obliger à quoi que ce soit ?
Z
Une rentrée littéraire qui commence très mal. Comment, que choisir parmi tous vos c oups de coeur, d'autant que j'ai également le mien !!!
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N
Oui, c'est terrible ! Que des tentations, des grosses envies, et ce besoin de tout lire là maintenant tout de suite... Tant mieux pour l'industrie du livre, il vaut mieux faire envie que pitié ;-)
T
je n'avais pas réussi à rentrer dans le précédent livre ... je crois que je vais faire l'impasse sur celui ci!
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N
Oui c'était particulier, très tendu avec ces slashs comme des options à choisir dans les phrases... Ici c'est plus classique mêle si on reste dans un style très saccadé, très rythmé presque haletant.
T
en fait ce n'est pas une question de sujet je pense, c'était son écriture qui ne m'avait pas convenue...
N
On est effectivement dans la droite ligne du précédent, on retrouve les thèmes déjà abordés. Par contre, il y a une progression nette de l'écriture (plus fluide, haletante mais moins heurtée) et une plus grande maîtrise de la structure narrative. Mais il faut quand même avoir une certaine affinité avec les thèmes traités...
C
entre toi et Delphine, je suis cuite :)!
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J
Je ne fais que survoler ta chronique car je vais le lire dès que possible...
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N
Oh allez... Je suis certaine que tu en avais déjà très envie :-)
N
Bonne lecture alors et rendez-vous après pour échanger :-)
E
Très tentée par ce roman. J'ai l'impression de le voir partout...
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N
C'est normal qu'on en parle, il ne peut pas laisser indifférent. Il trouvera des détracteurs, comme tout roman mais il est tellement inscrit dans notre siècle qu'il touche juste et bouscule.
J
En tête de ma liste pour mes achats cet a-m, tu me confortes dans ma décision !
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N
Un très bon moment en perspective alors ! Je te souhaite autant de plaisir qu'à moi :-)
L
Je veux le lire, je veux le lire !!
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N
Comme je te comprends !