Le nouveau nom - Elena Ferrante
J'avais été bien ferrée par L'amie prodigieuse alors que la période de l'enfance n'est pas vraiment mon sujet de prédilection. Celles qui avaient déjà avancé dans la saga m'avaient prévenue : le deuxième tome est encore plus addictif. Je confirme. Il est fantastique. Résultat, je ne suis plus ferrée mais accro, et soulagée de n'avoir pas trop à attendre avant la parution en français du troisième volet annoncé pour janvier. La magie du texte d'Elena Ferrante est assez difficile à expliquer mais ce qui est sûr c'est qu'elle agit comme un philtre d'amour qui vous scotche à cette histoire du matin au soir et vous attache violemment à ce duo d'amies.
"Au printemps 1966, Lila, dans un état de grande fébrilité, me confia une boîte en métal contenant huit cahiers". Il suffit d'une phrase, la première, pour retrouver Elena et Lila avec l'impression de ne les avoir jamais quittées. Se souvenir que nous avions laissée Lila à la fin du premier tome, en pleine désillusion envers l'homme qu'elle venait juste d'épouser. Mariée à seize ans avec Stephano Caracci qui l'a trahie en s'associant aux frères Solara sur lesquels plane l'ombre de la Camorra, Lila est en colère. A la fois sortie de la misère comme elle se l'était juré et prisonnière par d'autres chaînes. Pendant ce temps, Elena poursuit ses études, tentant elle aussi de s'assumer et de s'accepter entre volonté d'apprendre et d'accéder au savoir pour sortir de son quartier et de sa condition et moments de découragement. Les différences entre les deux amies semblent plus fortes que jamais et pourtant, leurs vies sont irrémédiablement liées.
Ce qui frappe avec cette saga, c'est la capacité de l'auteure à rendre la violence des sentiments qui entourent les deux amies et qu'elles n'hésitent pas à amplifier dans leur propre relation. L'amour a la force de la haine, rien n'est tiède, tout est excessif à cause surtout de la personnalité volcanique de Lila. En même temps, ces sentiments font forcément écho à ceux que nous avons éprouvé dans notre propre jeunesse, envers nos propres "meilleures amies". C'est éminemment troublant. Et c'est ce qui inspire cette impression de proximité avec ces héroïnes qui vivent pourtant dans un autre lieu et à une toute autre époque.
Un lieu et une époque qui, dans la continuité du premier tome nous deviennent familiers par la grâce de la plume de l'auteure qui tisse son décor, son atmosphère, son contexte social et politique avec une dextérité incroyable. Les quartiers, les accents, les différences entre le nord et le sud, les séquelles du fascisme, l'influence de la mafia... tout est là mais rien n'est souligné ni grossier. Grâce au parcours d'Elena, nous approchons les milieux plus intellectuels et goûtons aux idées qui permettent de mieux appréhender l'évolution du pays.
Mais ce qui fascine, bien sûr, c'est le destin parallèle de ces deux amies. La blonde et la brune, la sage et l'intrépide. Celle qui construit prudemment et celle qui n'hésite pas à rompre violemment. Celle qui hésite et celle qui prend. Lila était la plus brillante mais c'est Elena qui étudie. Lila qui ne se résout pas à une vie trop tiède et encore moins à abandonner toute velléité d'apprendre. Elena qui cherche à rejoindre son amie dans son parcours de femme. Elles se perdent, se rattrapent, se blessent, se fâchent, se quittent sans que jamais le lien ne soit totalement rompu comme si elles avaient chacune besoin du regard de l'autre, leur moteur pour avancer.
Elles n'ont que 22 ans lorsque nous les quittons et c'est incroyable au regard de tout ce qu'elles ont déjà vécu, notamment Lila qui mène sa vie à l'instinct, sans peur et sans regrets. Je ne vous dévoilerai rien ici de leurs aventures tout au long de ces 550 pages qui passent comme dans un souffle. Je vous laisse le bonheur de vous faire prendre, vous aussi.
Oui, ce roman est fantastique. C'est un roman total, à la fois témoignage d'une époque et plongée vertigineuse dans l'intimité des sentiments féminins. On a juste envie que ça ne s'arrête jamais.
"Le nouveau nom" - Elena Ferrante - Gallimard - 554 pages (traduit de l'italien par Elsa Damien)
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